Enchaîner différents temps de jeu en privilégiant la profondeur

Proposition théorique de © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté et Eric Duprat, entraineur de football et enseignant-chercheur à l’Université d’Évry Val d’Essonne.

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Le monde de l’entraînement et de la formation des footballeurs s’inspire très souvent du style de jeu « à la mode », c’est-à-dire de celui que les joueurs de l’élite exécutent brillamment. Mais, ce « copier-coller » n’est pas accessible au commun des footballeurs et devient pour certains une mission impossible.

De nos jours, l’influence du Barcelone de la grande époque (2008-2012) est prégnante et la « méthode Guardiola » occupe toutes les pensées. Construire à partir de l’arrière, soigner sa sortie de balle tout en essayant de garder le ballon à tout prix. La priorité est donnée à l’utilisation du jeu court, à l’occupation rationnelle du terrain et à la qualité technique des joueurs accompagnée d’accélérations ponctuelles pour traverser les rideaux défensifs. Pour beaucoup, il s’agit de marquer « le but parfait » après de nombreuses passes multidirectionnelles qui désorganisent la défense adverse. Le jeu long est peu utilisé sauf lors de passes privilégiant la largeur afin d’échapper à la densité défensive. Il n’est en fait que la copie conforme des formes de jeu sud-américaines, que l’on retrouve historiquement avec le « Toque » Argentin, sous l’influence de conditions climatiques particulières, fortes chaleurs, ou atmosphériques, altitudes. Il ne correspond qu’en partie au « football total » des Pays-Bas, durant les années Cruyff, qui n’a pas été égalé à ce jour.

Peut-on envisager qu’en Europe, la répétition des matchs rapprochés nécessite ou implique de telles phases d’intensité réduite lors des rencontres ? Ce style de jeu doit-il ou peut-il devenir l’unique référence à s’approprier pour produire un jeu performant et spectaculaire ?

Il nous semble que la réversibilité est au cœur du problème, car la récupération du ballon dans la continuité du jeu ou suite à une phase statique, qui favorise ce type d’organisation offensive, devient déterminante dans la pertinence de l’utilisation du ballon au premier temps de jeu. La phase de conservation systématique, ne semble pas toujours synonyme de performance, mais parfois plutôt d’ennui. Le jeu qui succède à la récupération du ballon devrait se nourrir de la diversité et des caractéristiques spécifiques de chaque type de récupération (Duprat, 2005). À ce titre, l’exploitation de la passe longue dans la profondeur, décriée par beaucoup, constituera toujours un moyen d’atteindre rapidement la zone de vérité/finition dans une position privilégiée pour accéder à la cible.

Il apparaît logique qu’un premier temps de jeu bien conçu doive chercher à désorganiser l’équipe adverse tout en gardant sa propre organisation et à profiter du temps d’avance octroyé par le replacement défensif adverse. Les temps de jeu suivants servent à exploiter cette désorganisation et à conserver le temps d’avance initial. Dans le contexte d’un jeu long, il devient indispensable de se pencher sur la continuité du jeu afin de conserver la possession du ballon pour un deuxième temps de jeu. Pour tous les footballeurs, la capacité d’une équipe lors de la transition à alterner le jeu long et le jeu court, afin de sécuriser la possession, est compliquée à mettre en oeuvre. Cette complexité est due à plusieurs facteurs pour le porteur de ballon comme la difficulté de se situer par rapport aux coéquipiers et adversaires dans un espace lointain. Mais aussi la difficulté technique du jeu long profond et encore plus du jeu long aérien qui réside dans le fait de respecter une position éloignée du porteur de ballon tout en restant à distance de passe pour le ou les réceptionneurs éventuels.

Les limites de l’espace de jeu sont également des contraintes à prendre en compte. La mise en mouvement des partenaires doit être immédiate pour faciliter la prise d’informations du porteur, vers des espaces libres et accessibles où les adversaires directs devront avoir un temps de retard. Cette prise d’informations est facilitée et accélérée par les orientations choisies dans la matrice offensive. L’orientation des courses devra privilégier l’accès au but adverse sauf si les contraintes de la loi du hors-jeu obligent à une sollicitation en appui profond. On distingue alors le jeu dans le couloir de jeu direct vers une position favorable au tir, ou le jeu indirect qui implique un passage par une étape intermédiaire à cette mise en position. La coordination entre les temps de course (appels de balle) et le premier temps de jeu est essentielle à la réussite de l’action. Le jeu au sol ou aérien représente un élément important dans la capacité que devra développer le réceptionneur lors de sa prise en charge du ballon. Que ce soit dans la course vers la cible en échappant à l’intervention du défenseur adverse ou que ce soit en empêchant l’adversaire direct d’agir sur la balle, l’attaquant devra adopter une position corporelle lui permettant d’accéder prioritairement au ballon lors de la phase de conquête à la réception. Le contrôle devra permettre au nouveau porteur d’échapper à l’intervention adverse. Le schéma suivant illustre la réversibilité qui en découle en lien avec les choix opérationnels possibles.

Figure 1. Liens d’opposition en football ou triple variante fondamentale (Gréhaigne, 2018)

La figure 1 illustre une modélisation des liens d’opposition caractéristiques en football. À partir des trois façons d’attaquer jeu au sol en passe ou jeu en conduite de balle ou encore jeu aérien on opposera la défense sur la balle ou la défense sur le joueur. Sachant que le jeu de progression individuelle aérienne est exceptionnel.

Le jeu qui est continu, ramassé de façon synthétique dans une « enveloppe générale », présente en opposition une « matrice défensive » et une « matrice offensive » (Deleplace, 1979). Cela souligne que l’on peut analyser les liens d’opposition en faisant attention aux détails et qu’il est parfaitement possible de parvenir à les formuler pour leur mise en œuvre de façon consciente et méthodique, tant dans les exercices à l’entraînement que dans le jeu lui-même.

La logique de l’offensive est la pénétration dans le dispositif défensif adverse.

  • soit en conduite de balle au sein de l’espace momentanément occupé par le dispositif défensif (EJE de la défense) ;
  • soit en réalisant une passe au sol vers un partenaire opérationnel positionné favorablement ;
  • soit par une passe aérienne utilisant la dimension verticale pour franchir les obstacles sans que les défenseurs puissent agir sur le ballon, que ce soit en jeu court, intermédiaire ou long.

L’enchaînement se traduit par une course afin de prendre le ballon et poursuivre le mouvement vers la cible ou par la réception du ballon par un appui suite à un coup de pied d’attaque dans la profondeur. La poursuite d’un ballon libre suite à une passe, la réception sur du jeu en appui, l’exploitation d’un centre sont des actions qui nécessitent des formes variées de prise en charge du ballon. Suivant l’endroit de la récupération du ballon, la pénétration est susceptible de se produire aussi bien avec un seul « rideau défensif » à perforer, qu’en franchissant successivement plusieurs rideaux sur toute l’étendue que représente le terrain dans le sens de la longueur (profondeur).

Il nous semble important de rappeler que le mouvement initial de réversibilité est marqué par un rapport au temps primordial en lien direct avec le type de récupération et son positionnement sur le terrain. Un ballon récupéré proche de son propre but suivi d’un passage rapide vers l’avant correspond à une contre-attaque. Une intention identique suite à une récupération en zone médiane permet d’enclencher une attaque rapide. Toute récupération en avant de l’Espace de Jeu Effectif Total, chez l’adversaire, offre une possibilité immédiate de déséquilibre qui se traduit par une mise en position favorable au tir. Toute relance privilégiant une phase de conservation par du jeu court latéral ou en recul s’apparente au type de jeu présenté initialement. Il permet aux adversaires de se repositionner sur leurs bases défensives en reconstituant les divers barrages en opposition au mouvement offensif en cours.

Le terme de « relance » désigne une catégorie caractérisable d’action collective suite à une récupération du ballon dans la continuité, en l’occurrence une action collective distinguée dans la triple variante fondamentale. Une phase statique de remise en jeu est considérée comme un lancement du jeu car il y a changement de l’équipe en possession du ballon. Elle ne bénéficie pas du moment de flottement du replacement défensif adverse. Une phase statique suite à une sanction (coup-franc) ou un coup de pied de coin (corner) est une poursuite de la possession et permet le replacement des adversaires. Elle peut ouvrir une opportunité immédiate de marquer si elle se situe proche du but adverse

Le premier temps de jeu

Un préambule au premier temps de jeu peut parfois exister lorsqu’une courte conduite en pénétration permet de se dégager de l’intervention de l’adversaire le plus proche lors de la récupération. Il semble aussi important de préciser que le premier temps de jeu peut se traduire soit par une relance approximative suite à un dégagement défensif lors d’une phase de conquête, soit par une relance précise visant un partenaire déterminé. Lors d’une relance en dégagement, l’objectif est de rechercher les zones neutres des angles du terrain adverse où la perte du ballon n’occasionne pas de mise en danger. Elle favorise par contre les récupérations par les partenaires les plus avancés qui peuvent enfermer l’adversaire qui joue le ballon libre ou en prend possession, en s’appuyant sur les lignes du terrain (cf. Duprat, 2005).

Que l’on soit à la poursuite d’un ballon libre ou à la tombée de la balle dans l’organisation de la cellule de l’action de pointe, tout repose d’abord sur le jeu sans ballon. Le principe (qui supporte, comme tout principe général, des exceptions, dues à un contexte de jeu particulier) est de botter le ballon à la bonne hauteur pour à la fois passer au-dessus des défenseurs obstacles, mais aussi arriver dans la course du partenaire. Dans un cas il revient d’une position profonde pour jouer en appui et dans l’autre il part d’une position à hauteur ou en retrait et doit parcourir l’espace qui lui permet de franchir la ligne d’avantage. Le rapport au temps est primordial pour coordonner le déplacement du futur réceptionneur et le temps de vol du ballon. Il faut aussi tenir compte des déplacements des adversaires pour éviter qu’ils puissent intervenir avant le partenaire visé. C’est la condition pour que la réception qui se situe dans la moitié adverse en avant de l’espace de jeu effectif total puisse être gérée efficacement afin de poursuivre le mouvement par le « deuxième temps de jeu ».

Pour ce qui est de la relation-passe avec un partenaire, il nous faut distinguer le jeu vers un joueur qui sollicite le ballon dans la profondeur, dans le dos des adversaires et celui qui revient en position d’appui pour une poursuite du mouvement. Dans tous les cas, il faut aussi tenir compte de la zone du départ au regard de l’EJE défensif adverse, en partie haute, partie intermédiaire ou partie basse, car les possibilités d’interventions défensives s’en trouvent influencées.

Si la relance part de la partie haute de l’EJE défensif, il reste généralement deux rideaux défensifs adverses, le premier étant souvent éliminé par la récupération. La passe doit alors franchir l’épais barrage existant en utilisant le jeu aérien pour passer au-dessus des obstacles. Il est nécessaire de prendre en compte la couverture profonde assurée par le gardien de but adverse. La cohérence qui en découle est que le jeu profond du premier temps doit plutôt s’orienter vers une profondeur excentrée à la périphérie en parallèle à la ligne de touche, ou en utilisant une transversale éloignant le ballon de l’opposition proche et fuyant l’intervention du couvreur. Cela correspond à l’idée déjà avancée vers un jeu moins risqué car le gardien hésite à sortir de sa surface sur le côté et qu’il est plus aisé de faire un contre pressing en cas de récupération par un adversaire.

Si l’objectif est un partenaire lancé qui dépasse la ligne d’avantage, un léger effet rétro permet non seulement de passer au-dessus des obstacles mais aussi de limiter la fuite du ballon vers l’avant ce qui facilite sa prise en charge. Un appel trop orienté dans l’axe facilite l’intervention des défenseurs au niveau de leur moyen de couvrir l’axe, que ce soit avec une couverture profonde assurée par un joueur déterminé (libéro) ou par une couverture alternée complétée par le gardien de but. En effet, il est parfois pertinent face à un attaquant très rapide de couvrir l’axe profond avec un défenseur libre (en alternance ou non) car l’espace dans le dos de la défense est suffisamment étendu pour qu’il puisse prendre de vitesse les défenseurs et jouer le ballon avant le gardien de but sorti à sa rencontre. Si l’objectif est un partenaire en appui situé entre le second et le dernier rideau défensif, la précision dans le dosage de la frappe est prépondérante. Il faut faciliter la réception avant l’intervention du défenseur, que ce soit dans une position axiale ou excentrée. Ce type de passe ne permet pas de franchir la ligne d’avantage mais de trouver un relais pour passer à un partenaire dans le second temps de jeu.

Si le ballon est récupéré dans la partie intermédiaire de l’EJE défensif, le jeu profond peut être réalisé plus facilement au sol dans un intervalle entre défenseurs pour faciliter la prise en charge du ballon par le partenaire réceptionneur. Au départ, il y a déjà un certain nombre de défenseurs éliminés, et comme la récupération est plus haute, c’est-à-dire plus proche de la ligne médiane, cela facilite la suite du mouvement. Pour une bonne continuité de l’action, le moment et la vitesse des interventions sont très importants. Les trajets de course doivent être bien coordonnés afin de garantir une occupation rationnelle de la largeur ce qui est parfois un peu contre-intuitif et nécessite une pratique fréquente. La réaction première de nombreux joueurs est de courir directement vers la cible ce qui facilite le travail de la défense en surnombre et réduit les intervalles de passes. Le contournement est encore un moyen privilégié pour ouvrir l’accès à la cible. Il faut éviter les ouvertures qui favorisent les interventions du gardien en but en couverture. Le dosage de la passe qui doit à la fois éliminer les défenseurs tout en restant accessible au partenaire recherché nécessite un impact de qualité. Le jeu en diagonale à l’opposé de la position du passeur est souvent source de déséquilibre immédiat de la défense adverse en grande partie dépassée par le mouvement enclenché ce qui permet de favoriser le passage en zone de finition. L’option d’utiliser un appui relayeur peut favoriser la réorientation à contre-pied de la défense surtout si l’enchaînement technique est réalisé en une touche de balle. C’est très souvent la passe décisive qui permet de mettre le buteur en bonne position.

Si la récupération a lieu dans la partie basse de l’EJE défensif, la passe réalisée par-dessus ou entre les adversaires offrira l’accès direct à la cible adverse, sauf s’il est excentré ce qui implique un retour vers la zone axiale grâce à un centre. Que la récupération soit proche de la ligne ou plus haute dans la moitié adverse, la volonté de percuter et perforer le dernier rideau doit être la préoccupation première du porteur de balle. Les défenseurs restants peuvent encore être en surnombre et le premier temps de jeu doit en consommer le plus possible ce qui favorise le deuxième temps de jeu ou le passage direct à l’action finale. Nous reviendrons sur la situation particulière d’un jeu excentré et peu profond ou le porteur se doit de ramener le jeu vers la zone axiale et permettre au finisseur de se trouver dans une situation où les angles d’accès au but sont les plus ouverts. Les cellules d’action de pointe pour récupérer une balle aérienne ou suite à un rebond doivent posséder des caractéristiques précises fondées sur une organisation spatiale et temporelle pour conserver le ballon. En cas de perte du ballon, il faut être très réactif pour ne pas laisser les adversaires reprendre un avantage en contre.

Au-delà de ses considérations liées aux rapports d’opposition, la position du porteur de balle suite à la récupération peut se situer plus ou moins éloignée du but adverse. Plus la récupération est proche de son propre but, plus l’espace profond exploitable est étendu. Le jeu dans le dos de la défense en est privilégié. Lorsque la récupération est en zone médiane le jeu en profondeur est plus contraint car l’espace profond se réduit et la zone axiale est couverte par le gardien de but. Suivant la configuration, soit le jeu en appui est plus cohérent, soit le jeu en diagonal ou transversal offre une ouverture plus riche pour la poursuite du mouvement. Lorsque la récupération est proche du but adverse, le jeu sur un appui court enchainé par du jeu en une touche de balle que l’on retrouve dans le une-deux doit être exploité prioritairement. L’enchainement d’un jeu latéral sans avancée ou recul ne peut prendre à défaut un rideau défensif qui glisse efficacement d’un côté à l’autre en fonction de la circulation du ballon. Par ailleurs il existe un risque important d’interception et de contre-attaque des adversaires. En cas de situation excentrée, le retour vers une position plus axiale ouvre les angles de tir au second temps de jeu. Il faut alors tenir compte du champ d’intervention du gardien de but dans la sphère aérienne.

L’autre facteur qui influence le récupérateur du ballon est son positionnement par rapport à la largeur du terrain. Une position axiale ouvre le passage dans les divers couloirs de jeu car deux possibilités de contournement s’offrent au porteur en plus du jeu axial. Cela contribue à augmenter l’incertitude pour les défenseurs qui doivent rééquilibrer leur dispositif. Une position décentrée sur un couloir limite l’orientation du jeu soit dans la continuité en parallèle à la ligne de touche, soit dans la direction opposée par un jeu court ou intermédiaire dans la diagonale ou par un jeu long transversal. L’action défensive est alors plus aisée car empreinte de moins d’incertitude. La double empreinte longueur (profondeur)/largeur se trouve là complétée par la troisième dimension de l’espace de jeu, la hauteur (verticalité) ou les équipes évoluent en opposition. Dans tous les cas, la pertinence des divers appels de balle, orientés vers les zones libérées et accessibles, facilite la passe lors du premier temps de jeu.

Comme énoncé préalablement, il se peut que le récupérateur du ballon se trouve en position haute et excentrée, qu’il se situe dans son propre camp ou dans la partie haute de la moitié adverse. Il peut aussi être un des joueurs les plus avancés du dispositif. S’il ne peut pas prendre un appui vers le partenaire placé dans une position axiale, il peut rechercher un partenaire à l’opposé par une transversale qui lobe les défenseurs axiaux. Cette possibilité nécessite une mise au point au cœur de la matrice offensive afin que l’engagement vers l’avant du joueur opposé soit immédiat. Dans le cas contraire, il doit s’engager dans une progression individuelle afin de dépasser son adversaire direct pour revenir vers l’axe dans un second temps. Il peut alors réaliser un centre entre la défense en repli et le gardien pour un partenaire à hauteur ce qui met les adversaires en situation difficile s’ils veulent intervenir. Un ballon donné avec une légère profondeur et dosé par rapport à la largeur dans la course des partenaires est souvent favorable à l’attaquant.

Tous les éléments du collectif se trouvent impliqués dans ces mouvements vers l’avant, mais ils ne doivent pas oublier la nécessité de conserver une organisation rationnelle. Il n’est pas question de tous s’engager dans un mouvement vers le but adverse sans sécuriser leur base en cas de perte du ballon. Les soutiens devront donc accompagner le réceptionneur pour intervenir lors du second temps de jeu ou agir en ralentisseur du contre adverse en cas de perte du ballon par l’attaquant. Pour les partenaires les plus en retrait, il est intéressant de remonter rapidement afin d’éliminer des adversaires (position de hors-jeu) qui tardent à rejoindre leur base. Cette remontée rapide que l’on observe souvent suite à un coup de pied de coin (corner) repoussé est une action pertinente suite à une relance et son premier temps de jeu, en fonction de la configuration globale de l’espace de jeu effectif total

L’importance du deuxième temps de jeu

Au deuxième temps de jeu, si le désordre initié par les mouvements du premier temps a fait son effet, le désordre est en grande partie installé. Les déplacements, les contractions et les expansions de l’espace de jeu effectivement occupé sont au cœur de la compréhension du jeu. À tout instant chaque équipe est caractérisée par un niveau de désordre / ordre qui montre le degré d’organisation ou de désorganisation du groupe de joueurs. La perception de ce niveau de désordre / ordre est utile pour apprécier le fonctionnement collectif, mais le désordre doit rester dans une fourchette acceptable pour assurer la continuité du jeu. La pensée tactique devient ici prépondérante car le gain du match nécessite la résolution de problèmes engendrée par l’affrontement. Les initiatives individuelles et collectives deviennent indispensables pour faire face à un jeu où le mouvement a produit des configurations du jeu pas forcément attendues et où la pensée tactique devient première.

Parfois en regardant un match du championnat anglais, on est frappé par le nombre de longs ballons et de passes vers l’avant que les deux équipes exécutent. La plupart de ces passes semblent très prometteuses, même si certaines d’entre elles sont inefficaces. Il semblerait qu’il existe une idée sous-jacente. Les joueurs de cette équipe savent qu’une grande part de ces passes n’atteindront pas leur objectif, mais ils commencent à se précipiter vers l’avant presque avant de faire la passe. La clé derrière ces passes pleines d’espoir est que la majorité d’entre elles sont difficiles à défendre correctement. Qu’est-ce que cela laisse entendre ? Eh bien, ces ballons sont faciles à repousser, mais difficiles à garder pour l’équipe adverse. Les défenseurs sont très souvent confrontés à différents choix : arrêter le ballon dans une position difficile, le renvoyer à la volée, chercher à le contrôler pour le récupérer. Quelle que soit l’option choisie, l’équipe attaquante a l’avantage car les joueurs sont bien entraînés à ce style de jeu. Les milieux de terrain sont experts dans cet aspect particulier du jeu. Le plus souvent, ils gagnent le deuxième ballon, ce qui les met en position favorable pour poursuivre le mouvement vers l’avant.

Le génie de cette tactique est qu’elle n’a pas de faiblesse évidente. Même si ce style de jeu exige beaucoup de courses, tant que vous avez des joueurs en forme qui sont capables de gagner le second ballon, il n’y a pas vraiment de faiblesse flagrante et cela permet de gagner du terrain. Certes, ils risquent de se faire contrer en retour, mais cela peut arriver dans n’importe quel style de football et le dernier rideau de partenaires assure la protection. Pour l’action que nous proposons, il est fondamental de bien saisir que la source de tout le système de représentation est toujours dans le mouvement. Donc, dans la fluctuance continuelle de la distribution des 22 acteurs sur le terrain, la fluctuance côté offensif et la fluctuance côté défensif n’étant que les deux faces d’une même réalité unique, l’opposition continuelle de deux groupes antagonistes.

Ainsi donc, la fluctuance comporte trois composantes : composante dans le sens transversal (la largeur), composante dans le sens longitudinal (la profondeur) et composante dans la dimension haute ou espace aérien (la verticalité). Elles sont le cadre opératoire d’une décision individuelle en fonction de la logique du système offensif collectif établi.  Elles influent dans le choix de la forme d’action, puis dans le développement collectif de cette forme d’action : « poursuivre » ou « transformer » le mouvement en cours. Ce mouvement collectif en cours peut se prolonger par un échange avec un partenaire, ou la poursuite du coup de pied offensif aérien par une prise en charge et une conduite du ballon vers l’objectif fixé.

La matrice offensive se compose de deux sous-matrices ou « sous-ensembles » :

  • un sous-ensemble (a) ayant pour principe opératoire la réciprocité entre jeu collectif dans la largeur et jeu collectif en pénétration. ;
  • un sous-ensemble (b) ayant pour principe opératoire la réciprocité entre une circulation collective du ballon sécurisée et le jeu par coup de pied offensif plus aléatoire mais plus tranchant.

Face à ce style de jeu profond, la lutte pour s’approprier le ballon dans la phase de conquête reste incertaine en cas de manque de précision ou de non concordance des temps et mouvements. Il arrive aussi que si le défenseur ne s’empare pas du ballon à la première occasion, il parvienne intelligemment à retarder son intervention en continuant à faire pression et à essayer de prendre possession du ballon lors d’une seconde voire d’une troisième tentative. La montée collective de l’ensemble de l’équipe permet alors d’exercer un contre pressing pour reprendre le ballon dans le second temps de jeu. Dans les deux cas exposés : renvoi d’un défenseur ou contre, reprise du ballon du ballon par l’adversaire ; la pression immédiate mise en œuvre grâce à la montée du bloc équipe permet de poursuivre la possession et le mouvement enclenché initialement malgré une intervention passagère d’un défenseur adverse.

Varier les orientations lors du deuxième temps de jeu dépend de la réaction de la défense adverse. Un mouvement enclenché peut se poursuivre dans la même direction ou se réorienter pour prendre la défense à revers. Ce petit jeu d’action/réaction bien connu dans les sports de combat se décline dans une forme collective. L’efficacité d’une équipe se construit à partir d’une organisation de base stable, comprise et acceptée par les joueurs mais nécessairement adaptable. Une organisation n’est bien sûr jamais figée. Elle se transforme et se module en fonction des matchs par les joueurs eux-mêmes car les problèmes rencontrés dans les confrontations sont toujours différents.

Passer par un joueur en appui/pivot qui est placé dos au but adverse et qui doit poursuivre par un jeu vers l’avant n’est pas aisé. IL est donc nécessaire de s’organiser autour de lui pour assurer la possession du ballon dans l’action de la cellule de pointe. Faire vivre la balle au sens de poursuivre la circulation lorsque l’appui ne peut poursuivre le mouvement pénétrant, implique une mouvance des partenaires afin d’offrir des possibilités de passe dans les différentes directions, hors de portée des défenseurs.

Comment assurer la continuité du jeu ? À certains moments, il y a le jeu dans les pieds à d’autres il y a le jeu dans l’espace. Le jeu dans les pieds, le jeu dans l’espace, si on fait un bon panachage de l’un et de l’autre en fonction des situations qui vont se présenter cela est souvent une réussite. Un jeu de passes bien pensé, réfléchi et mis en œuvre est redoutable d’efficacité. Certes, quelqu’un peut penser que c’est improvisé, mais ça ne l’est pas et c’est très intuitif quand même car c’est une intuition partagée. C’est le fruit d’un travail en amont lors des entrainements pour coordonner les actions au sein d’un groupe. Mais c’est aussi le fruit d’une expérience construite avec le temps qui permet aux joueurs d’agir par anticipation en fonction des informations perçues et d’un patrimoine culturel tactique indispensable pour évoluer à un niveau performant.

Le pire dans une équipe est la statique ou la paralysie. Quand on voit une équipe pratiquer « donner la balle, arrêter la balle, redonner la balle, arrêter la balle », le mouvement n’est plus premier. Ici, il faut revoir la construction du jeu. Un souci constant consiste à apporter du dynamisme au jeu à la tombée de la balle en utilisant la latence de l’organisation de la défense juste après son repli. Assurer la continuité du jeu souligne la qualité de l’enchaînement de différents « temps de jeu » successifs au sein d’un même mouvement. Un premier temps efficace a provoqué un déséquilibre défensif. Le temps qui suit a pour but d’exploiter, ou d’entretenir ce déséquilibre, en choisissant la forme de jeu la plus adaptée. Pour atteindre ce but, cette transformation de jeu doit se faire rapidement pour ne pas laisser le temps à la défense de se réorganiser. Le temps de jeu issu de cette transformation ne sera considéré comme un 2e temps que s’il remplit cette condition. Dans le cas contraire, on parlera d’un « nouveau premier temps ».

On comprendra qu’il y a deux autres conditions sine qua non à la réalisation d’un mouvement de jeu en continuité : la conservation de la balle et la capacité à la faire circuler rapidement. Le jeu en continuité exige enfin un replacement défensif anticipé en cas de perte du ballon lors du mouvement offensif. C’est ce que l’on considère comme la « couverture offensive ».

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Références

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