"On fait un match ?!"

Proposition théorique d’Eric Duprat, entraineur de football (DES), professeur d’EPS agrégé et © Jean-Francis Gréhaigne, professeur des Universités honoraire en STAPS de l’Université Bourgogne Franche-Comté.

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Le sésame, la petite phrase magique, le moment attendu quand il arrive dans la séance d’entraînement ou d’éducation physique. Mais il peut aussi débuter la séance … et le bonheur est à son comble.

Que ce soit dans la cour de l’école primaire, dans le couloir du collège, sur le bout de terre ou de pelouse accessible pour tous, ce moment privilégié fait l’unanimité de la pratique « libre ». Celle qui a aidé à former des générations de joueurs de football avant que la structuration de l’encadrement des jeunes au sein des associations ne prenne le relais.

À l’origine du jeu, il y a cette liberté première qui en est le moteur indispensable, faite de détente, de distraction et de sérieux. Caillois (1958) affirme « pareille puissance primaire d’improvisation et d’allégresse que je nomme païdia, se conjugue avec le goût de la difficulté gratuite que je propose d’appeler ludus, pour aboutir aux différents jeux (…).

Nous retiendrons que le ludus propose pour l’homme, au désir premier de se détendre, des obstacles arbitraires toujours renouvelés. Il permet d’utiliser en pure perte le savoir, l’application, l’adresse, l’intelligence dont il dispose, sans compter la maitrise de soi, la capacité à résister à la souffrance, à la fatigue, à la panique et à l’ivresse » (Caillois, ibid).

« L’engouement de la plupart des hommes pour le football est inconcevable sans le retour à l’enfance » (Haldas, 1981). On revit ici, les parties improbables, sur des « terrains » improbables, avec des « ballons » improbables, de « football sauvage » dans son enfance. Pour Haldas (1981), c’est dans ces moments de liberté et de jeu, hors des contraintes de la famille et de l’école, que se construisent le caractère et le rapport aux autres.

De nos jours, le passage par le club est presque inévitable pour aborder la pratique compétitive dans de bonnes conditions au sein d’associations régies par la loi de 1901 qui a quelque peu perdu de ses vertus originelles. Ces clubs qui sont chargés d’organiser la pratique par délégation de l’état ce qui les contraint à répondre à certaines obligations.

Sans revenir aux origines de la pratique et aux premières confrontations où les effectifs des équipes et l’espace d’évolution pouvaient changer, « l’activité socioculturelle de référence » (Lebeaume, 2001 ; Martinand, 1987) est depuis 1871 une confrontation en onze contre onze joueurs sur un espace délimité aux dimensions ajustables, puis normalisées. Cette marge de manœuvre admise pour les dimensions du terrain n’a sans doute pas été suffisamment utilisée, à l’époque, pour ajuster l’espace de jeu en rapport avec les capacités physiques des pratiquants.

Je me souviens d’avoir évolué à l’âge de huit ans (âge de la première licence autorisée) sur un terrain équivalent aux dimensions de la pratique des adultes. En dehors du match à onze contre onze, il existait alors les rencontres de « sixte », sur demi-terrain, pratiquée lors de tournois « festifs », souvent en fin de saison.

Dans les années 1980, la catégorie des poussins (8-10 ans) a progressivement glissé vers une pratique en sept contre sept sur un demi-terrain. L’influence des méthodes utilisées en éducation physique et sportive dans le cadre scolaire n’est pas étrangère à cette transformation. Cette évolution a permis d’adapter l’espace de jeu aux potentiels physiques des enfants.

Sont aussi apparus les ballons de taille numéro quatre, plus petits et moins lourds afin de faciliter les apprentissages moteurs. Ceux-ci étaient basés sur la réalisation gestuelle décontextualisée, puis replacée dans la confrontation globale du match. Précisons qu’à cette époque, les catégories d’âge étaient basées sur un découpage de l’année en lien avec la saison sportive d’août à juillet. Les poussins 8-9 ans, pupilles 10-11 ans, minimes 12-13 ans, cadets 14-15 ans et juniors 16-18 ou 19 ans changent de catégorie en lien avec leur date de naissance, la séparation se faisant à la date du 01 août.

Dans les années 1990 apparait une nouvelle catégorie des « débutants » ouverte aux enfants de 5 à 7 ans. Un esprit polémique pourrait relier la création de cette catégorie à la nécessité de financer la construction du Centre technique National de Clairefontaine. D’autres diront qu’une école primaire sans réelle prise en compte de l’éducation motrice des enfants de cette tranche d’âge a laissé un champ libre d’intervention pour les fédérations sportives bien structurées.

Quoi qu’il en soit, l’espace de jeu s’est retrouvé à nouveau réduit, à un petit quart de terrain, en un cinq contre cinq qui continue d’exister. Cela permet d’organiser les « plateaux » regroupant plusieurs équipes sur un même terrain. On délimite alors quatre espaces jeu sur un terrain habituel et on y rajoute des espaces dédiés aux ateliers de coordination motrice ou apprentissages techniques. Une évolution importante est aussi apparue avec la mise en place de rencontres internationales au niveau des jeunes et les catégories d’âges sont depuis normalisées au regard des années civiles avec changement de catégorie au 01 janvier.

Il est difficile d’expliquer comment on en est arrivé à ce stade, car les différentes évolutions mises en place par la Fédération Française de Football (FFF) ne sont pas vraiment accompagnées d’une argumentation permettant d’accéder au pourquoi.

1. Problématique

Quatre aspects primordiaux semblent nécessaires à prendre en compte dans le processus de formation du joueur de football dès l’initiation jusqu’à la formation.

Dans un premier temps, les aspects athlétiques doivent être mis en avant. Il est apparu plus cohérent de faire évoluer les enfants sur un espace de jeu plus approprié à leurs capacités physiques et aux possibilités d’interventions. Éducateur de la catégorie poussin à 11 (8, 9 ans), au début des années 80, il nous est vite apparu incongru de faire évoluer les enfants sur un terrain aux dimensions identiques à celle des adultes.

Il était déjà courant à cette époque de faire évoluer les enfants sur des espaces diminués avec des effectifs réduits (4 c 4, 5 c 5) dans le cadre des cours d’EPS au collège ce qui a fait évoluer la pratique vers un jeu en 7 contre 7 sur demi-terrain. Le passage du 7 c 7 au 11 c 11 étant complexe la progression fédérale s’est faite avec le 9 c 9 durant plusieurs saisons. Il faudra attendre 2017-18 pour trouver le compromis « idéal » avec le 8 c 8.

Dans la même optique, il nous semble peu cohérent d’être trop exigeant avec la pratique féminine, même de l’élite, en la comparant à celle des hommes. La différence au niveau des capacités athlétiques, comme dans une majorité des autres pratiques sportives, nécessite de ne pas attendre un copier-coller, une reproduction à l’identique du jeu masculin.

Les morphologies, les potentiels physiques et la puissance développée dans l’engagement physique impliqueraient un aménagement des dimensions de l’espace d’évolution aux potentiels en présence et aux caractéristiques du football féminin. L’exemple des performances des gardiennes de but nous semble signifiant si l’on analyse leur champ d’intervention possible pour protéger un but aux dimensions équivalentes à celles des hommes, au même titre que pour les catégories de jeunes.

Dans un second temps, nous porterons notre attention sur le matériel, exception faite des considérations liées à la sécurité (protège-tibias, protection de la tête). La loi 2 porte sur le ballon, cet objet central que l’on ne peut plus manier comme au handball ou au basket-ball, mais qu’il faut utiliser avec toutes les parties du corps en dehors des bras, le pied fort devenant l’outil principal.

Seul le dernier protecteur du but à défendre dispose d’un pouvoir magique, celui d’utiliser les membres supérieurs. Mais là aussi, le ballon de taille réglementaire était alors le même pour les enfants et les adultes. Ils pouvaient presque s’asseoir dessus sans trop plier les jambes. L’évolution du matériel a permis de créer trois tailles de ballons de circonférence et de poids différents et réduits pour faciliter son utilisation.

Autre évolution majeure, celle des surfaces de jeu vers les matériaux synthétiques. Celle-ci est sans doute bénéfique pour ce qui concerne la répétition de l’utilisation des terrains pour les entraînements et les rencontres de toutes les catégories d’un club. Mais les nouveaux traumatismes qui en résultent nous poussent à penser que rien ne vaut un bon terrain gazonné pour évoluer en compétition.

Le troisième thème qui parait incontournable concerne les aspects cognitifs. Comme tous les jeux, le football a son propre règlement qui nécessite de faire appel à la compréhension des pratiquants et à une analyse des possibles au cœur de l’activité. Les différents types de mémoire, court, moyen, long terme, sont sollicités pour développer et améliorer les capacités d’évolution de chacun.

Bouthier & Reitchess (1984) dans leur analyse des règlements des différents sports collectifs majeurs utilisent le concept de « noyau central du règlement ». Celui-ci met en avant quatre notions centrales pour mieux accéder aux fondements du jeu : la marque, les droits des joueurs en attaque et en défense, la liberté d’action sur la balle et l’engagement physique. Les actions possibles à entreprendre doivent être réfléchies et maitrisées.

Les capacités intellectuelles sont donc utilisées pour produire des actions pertinentes et efficaces, donc performantes. La diversité des tâches suivant le déroulement du jeu et la multitude des situations rencontrées nécessitent de bien comprendre les modalités à suivre dans le cadre de la coopération mais aussi face à la confrontation.

Les notions de stratégie et de tactique, reprises au monde militaire, permettent de structurer et d’organiser les prestations collectives en donnant du sens à la concrétisation des processus mentaux par la technique. Ce qu’on appelle la culture tactique, nourrie par l’histoire et l’évolution de la pratique, constitue un patrimoine étendu qui participe à la progression des différents-es acteurs et actrices.

La complexité de la tâche impose une réflexion sur les étapes à distinguer et à franchir au fur et à mesure de la formation de la joueuse et du joueur. La réduction des effectifs lors des matchs pour les plus jeunes s’inscrit dans cette démarche en réduisant la quantité des informations à traiter dans le processus décisionnel. Solliciter les différents types de perception : visuelles, auditives, proprioceptives est inévitable et les exploiter afin de produire des actions pertinentes est un facteur déterminant de la réussite.

Venons-en au quatrième versant de cette analyse avec le second versant de la psychologie. Outre les aspects liés aux perceptions (visuelles, proprioceptives, auditives) et au traitement de l’information nécessaire au processus décisionnel vient se greffer le rapport au temps. La pression temporelle liée aux rapports d’opposition ajoute une pression émotionnelle qui vient perturber la quiétude nécessaire pour réaliser un geste juste. Du débutant au joueur expert, les rapports d’opposition étant proportionnels, cette problématique est toujours présente.

Autre facette des aspects psychologiques induits par toute production motrice, en dehors des réflexes (cf. arc réflexe), ce versant affectif est d’une importance capitale dans la maitrise de la réalisation gestuelle. C’est à ce titre qu’il nous parait essentiel d’intégrer cet aspect dans la formation des très jeunes pratiquants-es.

Plus ils apprivoiseront leurs tensions internes, plus ils maitriseront leurs productions motrices au sein d’un environnement rempli d’incertitudes. Il est évident qu’il est nécessaire de proposer des paliers ou étapes dans la mise en conflit née de l’opposition, mais un apprentissage décontextualisé entrainera inexorablement un taux d’échec source de déceptions et d’inefficacité.

2. Les formes de pratique actuelles

Les lois du jeu sont simplifiées pour faciliter l’accès à la pratique dans le milieu associatif comme dans le cadre scolaire. Dans notre ouvrage basé sur cette thématique (Duprat, 2007), plusieurs propositions avaient été faites pour adapter les situations de match aux capacités des enfants, dont le 8 x 8.

Précisons que la pratique mixte, au moins jusqu’aux U13, facilite l’accès à la pratique pour les demoiselles souvent moins nombreuses. Par ailleurs, les sous-classements de catégories sont envisageables sous prescription médicale mais restent limités en nombre.

Suivant l’âge, les lois du jeu ont aujourd’hui été aménagées :

Pour les U6-U7 (Grande Section-CP) jeu à 3 x 3 sans gardien de but (GB) sur terrain de 25mx15 ou bien en 4 c 4 dont GB sur un terrain de 30mx20. Si gardien de but il y a, une zone de 8 mètres est matérialisée ou tracée sur la largeur. Les buts mesurent 2 x1,5m pour le 3 x 3 et 4m x1,5 pour le 4 x 4 dont GB. Le ballon est de taille numéro 3, plus petit et plus léger. Le point du coup de pied de réparation est à 6 mètres.

La loi du hors-jeu n’est pas appliquée. Les remises en jeu sont simplifiées, passe au pied au sol ou conduite de balle pour les touches, ballon positionné librement dans la zone des 8m pour le coup de pied de but. Tous les coups francs sont directs (tacle interdit) avec éloignement à la distance de 4 m. pour les adversaires.

Le gardien de but est protégé dans sa surface et peut relancer à la main ou au pied ballon posé au sol. Le temps de jeu est des 30 minutes, soit deux fois 15, mais des aménagements sont possibles avec la mise en place d’ateliers lors des « plateaux ».

Pour les U8 et U9 (CE1-CE2), on passe au match à 5 c 5 dont GB sur un terrain de 35 à 40 m. 25 à 30 m. (dimensions réglementaires de 30 à 40 m. de long sur 20 à 35 m. de large), la cible est toujours de 4m sur 1,5 m. et la zone du GB s’étend toujours jusqu’à 8 m. de la ligne de fond. Le ballon est toujours de taille n°3 et les lois essentielles sont les mêmes en dehors du tacle qui devient autorisé. Le temps de jeu passe à 40 minutes, soit deux fois 20.

– Pour les U10-U11 (CM1-CM2), on évolue vers une pratique à 8 c 8 dont GB, comme nous l’avions proposé dans notre ouvrage (Duprat, 2007), sur demi-terrain à 11, soit 55 à 60 m. sur 45 mètres (dimensions réglementaires de 55 à 70 m. de long sur 40 à 50 m. de large). La surface de réparation est tracée aux dimensions de 26×13 m., mais le gardien de but n’est plus « protégé ». Les buts passent à 6m sur 2,10 et le ballon est de taille n° 4.  Le coup de pied de réparation est botté à 9 m. du but et les défenseurs doivent s’éloigner à 6 mètres sur les coups francs.

Gros changement avec l’entrée en jeu de la loi du hors-jeu, prise en compte dans un premier temps uniquement dans les 13 derniers mètres, qui implique d’ajuster les appels de balle orientés dans la profondeur. Les coups francs indirects complètent la panoplie des fautes et incorrections. Les touches se font avec les mains ou au pied ballon posé au sol (rien n’est précisé sur l’éloignement des adversaires). Le temps de jeu passe à 50 minutes, soit deux mi-temps de 25 min.

– Pour les U12-U13 (6e-5e), on reste sur les mêmes modalités sauf que le hors-jeu est pris en compte dès la ligne médiane. Le temps de jeu est de 60 minutes soit deux fois 30 min. Contrairement aux catégories précédentes, l’éducateur dispose d’une possibilité d’intervenir sur un « temps mort » de 2 minutes durant chaque période de jeu pour apporter des remarques.

Il est à noter que des U10 aux U13 une sensibilisation des jeunes aux problèmes de l’arbitrage est possible en impliquant les joueurs remplaçants pour assister l’arbitre central.

Signalons que sur toute cette période d’apprentissage il est interdit d’être observateur et malin puisqu’il n’est pas autorisé de marquer sur le coup d’envoi… ce qui nous semble bien dommage même si cela est particulier.

– Pour les catégories de U14 à U18, l’opposition est en 11 c 11 sur un terrain aux dimensions réglementaires avec un ballon de taille n° 5 comme les seniors. Pour les U14-U15, le temps de jeu est de 40 minutes soit 2 fois 40, il passe à 90 minutes soit deux fois 45 à partir des U 16.

« Toutes les rencontres R1 U18, R1 U17, R1 U16 et R1 U15 doivent se dérouler sur un terrain classé, au minimum en niveau 5. Les clubs de R2 ne peuvent accéder en R1 s’ils ne disposent pas d’un terrain classé au moins dans cette catégorie. »

Le « Classement des aires de jeu » (règle 3, le terrain) dans le « règlement des terrains et des installations sportives » stipule qu’il existe 7 tailles de terrain :

T1 et T2 maxi 105 x 68 et mini 105 x 68 ; T3 et T4 maxi 105 x 68 et mini 100 x 65 ; T4 max 105 x 68 ; T5 maxi 105 x 68 et mini 100 x 60 ; T6 maxi 105 x 68 et mini 90 x 45 ; T7 maxi 120 x 90 et mini 90 x 45. Aux dimensions s’ajoutent certains critères qualitatifs pour classer les aires de jeu. Tout est donc clairement défini ce qui confirme nos propos précédents quant à la forme de pratique identique ou très proche entre les U14 et les seniors au niveau des lois du jeu. Mais une jeune de cet âge dispose-t-elle des mêmes potentiels ?

Durant cette longue période, surtout lors de l’initiation et de la préformation la méthode employée est toujours essentiellement orientée vers les apprentissages d’une gestuelle individuelle décontextualisée réinvestie dans une confrontation collective ou la seule prescription est le gain de la rencontre.

Les systèmes de jeu formels et les organisations collectives sont peu à peu mis en place lors des matchs en s’inspirant presque exclusivement de la pratique de haut niveau qui constitue un exemple probant. Est-ce suffisant pour permettre à chaque joueur d’évoluer en tenant compte de tous les paramètres qui entre en jeu dans cette pratique ou l’incertitude est permanente ?

L’intensité des émotions vécues par les acteurs, mais aussi les spectateurs, résulte de l’émergence de l’imprévu. La récente Coupe du Monde (2022 au Qatar) avec ses surprises, autant dans la phase de poule que dans les rencontres éliminatoires jusqu’à la finale, en est un exemple révélateur.

3. « Débat d’idées »

Le colloque de Vichy (1966) sur les sports collectifs, durant lequel Teodorescu présente une autre approche de la formation des joueurs, constitue un tournant majeur dans les méthodes préconisées.

Les démarches et analyses faites par les enseignants et les nouveaux formateurs universitaires pour le football : Dugrand, Gréhaigne, Menaut pour le football, dans la foulée de Deleplace, Mérand, Marsenach, Grosgeorges, Malho, Filippi, Bouthier (années 70-80) ont conduit les enseignants à prendre en compte un nouvel élément, l’intelligence de jeu, avec les aspects cognitifs qui en découlent.

Partant de cette nouvelle donne le courant de la didactique voit le jour et participe à la transformation des méthodes d’enseignement des sports collectifs. Cette démarche mettra un certain temps avant de trouver une petite place dans le cadre fédéral de la formation des jeunes au football.

Durant les différentes étapes de la croissance de l’enfant, ces capacités physiologiques se développent rapidement et les transformations morphologiques constituent aussi une problématique dans les apprentissages moteurs et la coordination motrice s’en trouve perturbée. L’allongement progressif des segments, l’apparition plus tardive des masses musculaires qui augmente les potentiels mis à disposition, perturbe la réalisation des gestes techniques et de leurs apprentissages. On se trouve face à des apprentissages moteurs réajustés en permanence.

Les aspects cognitifs quant à eux sont souvent occultés, sans doute parce que certains pensent qu’il n’y a pas nécessité de faire fonctionner son potentiel intellectuel pour jouer au football. Les travaux scientifiques sur les processus d’apprentissages, au cours de la seconde moitié du vingtième siècle, vont provoquer une refonte complète du système éducatif. Les pratiques sportives n’ont pas échappé à cette mouvance et la nécessité est apparue de prendre en compte les processus organisationnels de la pratique.

La notion de système de jeu et d’organisation s’est développée avec l’arrivée du professionnalisme et la recherche de la performance. Mais cela ne concernait que le haut niveau et les joueurs d’élite. L’apprentissage de ce jeu continuait à se faire sur le modèle de la copie du modèle, le copier-coller du geste produit par le joueur performant et esthétique, aspect de la pratique à ne pas oublier.

La question de la tactique chez les jeunes c’est-à-dire de l’apprentissage des bases d’intelligence du jeu reste une question peu abordée aujourd’hui encore. L’évolution de la culture tactique en lien avec les philosophies de jeu, souvent inspiré par la production des équipes performantes du moment, reste un aspect secondaire pour une majorité des pratiquants-es et même des éducateurs, éducatrices.

La formation des cadres devrait sans doute plus insister sur ces aspects. Il est vrai que s’investir dans ce domaine nécessite une motivation supplémentaire et une concentration que certains se refusent à aborder dans le jeu.

Loin de nous l’idée de reprocher à toutes ces personnes qui s’investissent dans l’encadrement des jeunes de ne pas favoriser une approche cohérente et argumentée pour développer chez les jeunes une culture tactique. Cette notion est pourtant essentielle car il est souvent très difficile de modifier des acquisitions premières lorsqu’elles sont inadaptées à la cohérence du jeu.

Pour l’avoir subi pendant de longues années, il est vraiment compliqué de conduire les joueuses et joueurs à la performance sans qu’ils et elles disposent des bases nécessaires à la compréhension du jeu afin d’adopter les comportements efficaces. Elles et eux aussi ne sont pas responsables d’une mise en pratique amputée de la valeur du sens de l’action.

Du « pourquoi je fais ceci ou cela » en fonction de la configuration du jeu. De ce qui donne du sens à ma production motrice. De ce qui me permet de coordonner mes actions avec celles de mes partenaires. Ainsi, au-delà des savoir-faire, aider les joueurs à construire des savoirs réfléchir semble largement aussi important.

Apparait alors le troisième point incontournable à prendre en compte dans la formation du footballeur. La pression affective, les émotions vécues au cœur du jeu. Qu’elles correspondent à la pression temporelle inhérente à ce jeu d’opposition et de confrontation. Qu’elles soient en rapport avec la lutte et le combat physique inévitable provocateur de réactions inadaptées ou hors règles du jeu. Qu’elles soient en lien direct avec les pressions du résultat, ou de l’environnement de la pratique cette activité étant source de spectacles. Toutes ces raisons occupent aussi une place prépondérante en raison des impacts qu’elles peuvent avoir sur la réalisation motrice du joueur.

À cela s’ajoutent les aspects physiologiques à développer pour rester performant sur la durée de la rencontre. Ils nécessitent un long travail de préparation physique qui doit en plus être entretenu et planifié en fonction de la durée de la compétition et du déroulement du calendrier.

Lorsqu’on utilise les jeux à effectifs réduits (Marle & Gréhaigne, 2009), l’apprenant joue à une version modifiée du jeu qui devrait lui permettre de développer des connaissances et des compétences motrices dans le jeu. Le jeu réduit conserve les éléments importants de la complexité tactique, mais permet une exécution avec un niveau d’exigences physiques (espace réduit) et techniques (densité des joueurs moins importante) qui sont plus appropriées au niveau de l’apprenant.

Plusieurs éléments relevant de l’expérience ou de recherches complètent ces données sur le bénéfice que l’on peut retirer des jeux réduits en comparaison avec le football à 11. Parmi celles-ci :

* Les joueurs touchent le ballon 5 fois plus souvent au football à 4 et 50% plus qu’au football à 7, ce qui favorise les apprentissages grâce à la répétition.

* Les joueurs sont trois fois plus souvent confrontés au duel pour la conquête ou la conservation du ballon en football à 4 et deux fois plus souvent qu’au football à 7, permettant d’accéder plus rapidement à la maitrise affective face à l’adversaire direct.

* Les buts ou mises en position de marquer sont en moyenne toutes les minutes au football à 4 et toutes les quatre minutes au football à 7 ce qui rajoute à la motivation des joueurs-ses.

* La dimension du terrain est elle aussi très importante. Elle doit être adaptée à l’âge, à l’habilité et au nombre de joueurs. Une surface comprise entre 60 et 100 m² par joueur semble un bon compromis.

* La durée des situations constitue aussi une variable essentielle :  pas trop longue afin d’éviter la fatigue qui a pour conséquence une baisse évidente de l’efficience des élèves, pas trop courte afin de laisser le temps aux élèves de s’adapter aux conditions de jeu proposées. Une durée de 7 à 8 minutes parait réaliste pour éviter ces deux écueils. 

*  Les cibles représentent des éléments incontournables des sports collectifs ; elles sont porteuses de sens pour les élèves. Leurs approches et leurs atteintes sont déterminantes.  Il semble donc indispensable, du moins dans un premier temps, de proposer des cibles larges (si présence d’un G.B.) et/ou en grand nombre.

* Le jeu réduit est très exigeant sur le plan physique (duels / changements de direction / répétition de courses, etc.) et aura des incidences différentes suivant l’âge des joueurs. Il faut donc proposer des temps de récupération adaptés entre les séquences de jeu.

4. Nos propositions

Nous nous sommes donc posé la question des savoirs tactiques à aborder avec les jeunes joueurs, ou débutants dans l’activité, pour leur permettre de donner du sens à leurs actions. La nécessité d’organiser celles-ci en lien avec celles des partenaires est inévitable si l’on veut s’inscrire dans une pratique collective.

L’action individuelle intuitive et la capacité créatrice des joueurs ne sont surtout pas à proscrire mais elle ne peut, à elle seule, résoudre les problématiques du jeu et les contraintes de la confrontation aux autres. Alors, pourquoi recourir au jeu réduit ?

Le grand intérêt dans ce type de situation est de pouvoir donner du temps aux joueurs en diminuant la pression adverse et de jouer plus facilement, si on le désire, sur les variations de vitesse des joueurs et la vitesse de transmission du ballon à condition de proposer des situations où l’espace (la dimension du terrain) est en adéquation avec le nombre de joueurs.

Il convient, également, de bien distinguer l’activité du joueur en match et l’activité de l’élève en situation d’apprentissage. Les temps de pratique dans le cadre associatif ou scolaire sont très différents et la pratique régulière est garante d’une progression accélérée. Mais comment accéder petit à petit à la culture tactique inhérente à ce jeu ?

– Pour le match en 3 c 3, la priorité pour le débutant (6-7 ans) est initialement de découvrir et de discerner les statuts d’attaquant et de défenseur, afin de provoquer une réaction lors des changements de possession du ballon. Nous avons la balle et nous nous organisons pour attaquer la cible et marquer. Nous n’avons pas la balle et nous agissons pour constituer un obstacle aux adversaires en priorisant celui qui conduit le ballon. Cette base de compréhension du jeu s’appuie sur la détermination du sens du jeu, au sens de la direction à suivre pour aller marquer et de la direction à prendre pour revenir protéger son but.

Le processus de socialisation est en cours et la notion de réversibilité est progressivement intégrée par les enfants. La notion de mise en mouvement, de déplacements qui offrent les solutions au porteur du ballon, participe au développement des capacités aérobies en s’appuyant sur le besoin de bouger de ses enfants pleins d’énergie (quand ils ne sont pas restés figés depuis leur naissance face à un écran).

Le second thème, qui pourrait structurer l’engagement des joueurs, est la nécessité de ne pas être alignés, c’est-à-dire positionnés sur une même ligne que ce soit dans le sens de la largeur, de la longueur ou en diagonale. Le défaut majeur des joueurs débutants, mais aussi parfois expérimentés est de centrer leur attention uniquement sur le ballon.

Objet convoité par tous, il est le point central des motivations et des envies de se l’accaparer. Quand le porteur du ballon est stoppé dans son déplacement, on observe un regroupement des acteurs proches de lui qu’on appelle le « phénomène de grappe ».

La réduction des effectifs participe à l’idée première de libérer, de soulager l’action sur la balle, mais elle doit s’accompagner pour les non-porteurs du ballon d’un positionnement qui permet à la fois de progresser mais aussi de conserver le ballon pour aboutir.

Il y a donc un partenaire qui propose une solution vers l’avant pour accompagner le porteur dans l’avancée et un second qui assure le soutien au porteur en cas d’obstacle infranchissable ou de couverture offensive. Pour ne pas constituer un obstacle au partenaire qui avance, ou être invisible placé dans le dos du porteur, les partenaires devront utiliser la largeur pour se rendre plus facilement accessibles.

La dynamique du jeu se construit à partir d’une structure à trois éléments, qui se déforme suivant les courses et les échanges de balle et constitue la règle d’action primitive de l’organisation collective. Les déplacements permanents modifient cette structure, les non-porteurs cherchent à se rendre accessibles pour le porteur en évitant les positions à plat où le risque d’interception est plus grand. La cible aux dimensions réduites non protégée facilite la marque mais oblige le tireur à un minimum de précision dans la frappe.

La prise d’information préalable est encore un point d’orgue à l’évaluation de sa position par rapport à l’objectif visé pour produire un geste juste. Les exercices basés sur l’infrasystème permettent à l’enfant de prendre confiance et de ne plus être dans le geste impulsif lorsqu’il agit sur le ballon (Duprat, 2007, 2014). Il apprend à utiliser son corps pour protéger le ballon et évoluer en fonction de l’action de son adversaire direct. Il développe une motricité latéralisée qui lui ouvre la possibilité d’orienter le jeu dans toutes les directions suivant les contraintes, qu’il cherche à conserver ou à progresser.

– Pour le match en 4 c 4 dont un GB, peu de changements apparaissent dans la structuration du jeu. Notons toutefois l’intérêt pour le buteur de prendre en compte la présence du dernier obstacle constitué par le gardien de but avec ses droits particuliers. La solution de l’atteinte de la cible en visant au centre est remise en cause car devenue inadaptée et l’objectif devient l’évitement du dernier obstacle et la nécessité de frapper le ballon hors de portée de celui-ci.

La gestion de l’action finale dépend du placement mais aussi du déplacement du GB qui ouvre ou ferme certains angles. Le porteur doit toujours prendre en compte la présence du dernier défenseur à la poursuite ou proche, mais aussi l’obstacle en barrage que représente le GB. La pression temporelle et la nécessité d’agir sereinement constituent une tâche complexe qui confirme le besoin d’apprentissages moteurs contextualisés dès le plus jeune âge.

À l’inverse, la possibilité de jouer sur un soutien permanent et parfois éloigné sécurise la phase de conservation en cas de mise en échec du mouvement offensif. De plus, le point d’ancrage protégé que constitue le GB permet de se repositionner grâce au laps de temps dont il bénéficie pour relancer.

On peut aussi rajouter au cours d’exercices en microsystème (2c1, 2c1+1, 3c1, 3c2, 3c1+1, 3c1+1+1) les notions de tactique individuelle (Duprat, 2007) : la fixation d’un ou de deux adversaires pour éliminer les obstacles par la passe, le jeu en appui et en soutien pour distinguer le jeu en progression et la recherche de la conservation, l’accompagnement du partenaire pour les non-porteurs, hors du champ d’intervention des adversaires (sortir de la « zone d’ombre »), ne pas trop se rapprocher du partenaire pour lui laisser un champ d’action suffisant dans la gestion de son adversaire direct, l’appel de balle telle une communication par le corps qui introduit la notion de « timing » (au bon moment) et de rythme (vitesse de déplacement), etc.

Défensivement, il devient intéressant de freiner les ardeurs individuelles de reconquête (ne pas se jeter) qui commence à se traduire par des échecs lorsque le porteur du ballon est capable de dribbler et d’éliminer. Penser à défendre collectivement et à retenir ses élans en passant aux manœuvres de retardement (Duprat, 2005). Attendre l’arrivée d’un partenaire pour augmenter ses chances de récupérer le ballon grâce à la coopération.

Pour le match en 5 c 5 (U8-U9) la détermination des statuts est intégrée ainsi que la nécessité d’organiser le jeu. La non-définition de poste donne la liberté d’action pour tous sans oublier la nécessité de rééquilibrer la structure à trois de base. L’aspect finition est en cours d’acquisition.

La richesse de cette étape s’établit autour d’une organisation structurée à partir de quatre éléments qui s’entrecroisent tout en conservant une occupation rationnelle du terrain dans la largeur et la profondeur afin d’exploiter les différentes orientations du jeu. Les réactions des adversaires au cœur de la confrontation provoquent des réajustements nécessaires à l’exploitation des espaces libres et de ceux libérés.

C’est à ce titre que nous estimons que le futsal (Duprat, 2019) est un modèle de construction du jeu et d’articulation des différents mouvements possibles. Il constitue un « socle commun » qui permet d’aborder certains invariants opératoires réinvestissables par la suite. Il constitue une forme de jeu réutilisable pour tous les niveaux de pratique, tout au long du processus de formation, durant toute la durée du parcours de chaque joueur.

Ce type de match à effectifs réduits permet aux joueurs de beaucoup toucher le ballon, d’être en mouvement permanent si vous ajoutez une source d’alimentation en ballons, de provoquer un jeu rapide et alerte dans des espaces réduits qui nécessite une précision gestuelle dans toutes les techniques. Seul le jeu long est oublié, sauf pour les jeunes et parfois avec certains aménagements pour des joueurs expérimentés.

Cette opposition est à la base de la mise en place d’une occupation rationnelle du terrain, afin d’exploiter les espaces libres et les intervalles qu’il faut chercher à conserver ou à créer, provoquer, grâce aux mouvements coordonnés du quatuor.

Comme nous l’avons démontré (Duprat, 2019), quels que soient les systèmes mis en place et l’organisation des équipes actuelles, dans la pratique socioculturelle de référence, la structuration du jeu est basée sur une mosaïque de formes géométriques constituant un bloc équipe compact qui coulisse sur la longueur du terrain en fonction de la circulation du ballon.

L’intelligence du jeu collectif en libérant les joueurs comme dans le « football total » permet à chaque élément du collectif de s’exprimer pleinement même si certains ont une préférence, prédisposition, pour occuper tel ou tel poste dans le collectif. L’évolution du rôle de gardien de but, depuis les modifications des lois du jeu à son égard, fait de lui un membre à part entière de la coordination collective de l’équipe.

Il reste à introduire progressivement la loi du hors-jeu qui constitue une base essentielle de la partie offensive. Modifier la trajectoire des courses, jouer sur les appels / contre-appels, lancer ou poursuivre le mouvement du joueur et la circulation du ballon « dans le temps » nécessite un apprentissage spécifique et conscient dépendant aussi du rapport d’opposition.

Nous considérons que ce stade d’évolution dans le match devrait se poursuivre pour les 10-11 ans afin d’aborder les notions de contre-attaque, attaque placée pour discerner les moyens à mettre en œuvre en attaque. A contrario, la réversibilité se traduit par la découverte de la défense individuelle, de la défense de zone, plus facile à mettre en place et à coordonner avec des effectifs et espaces réduits.

– Pour le match en 8 x 8. Nous soutenions (Duprat, 2007) que dans les rencontres qui se disputaient alors en 5 x 5, puis 7 x 7, puis 9 x 9, avant de passer au 11 x 11 ; il était plus pertinent de jouer en 8 x 8 sur un demi-terrain. On ajoutait trois joueurs pour passer du 5 au 8 et trois autres pour franchir le cap du 11 x 11. Du jeu à 5 contre 5 ou les structures triangulaires s’articulaient, il nous semblait cohérent de proposer une première étape permettant d’organiser l’équipe sur deux « lignes de force » (rideaux) plus le GB.

Cette formation en GB-4-3 permettait de constituer un bloc équipe, avec un surnombre en défense pour pallier les éventuelles défaillances individuelles. Quel que soit le modèle choisi au niveau de la couverture défensive, joueur fixe (libero) ou couverture alternée, nous avions une occupation du terrain qui permettait d’évoluer de manière équilibrée en exploitant toute la largeur du terrain.

Les bases triangulaires accolées, à partir du GB, formaient des « trames », une structure organisée dans lesquelles tous les mouvements pouvaient être compensés pour retrouver une occupation rationnelle de l’espace de jeu. Les statuts de défenseurs et d’attaquants commencent alors à se distinguer même si les possibilités de dédoubler ou de permuter laissent une liberté d’agir tournée vers la polyvalence.

C’était sans compter sur l’esprit novateur de nombreux éducateurs et entraineurs qui ont proposé un système formel en GB-2-3-2, déjà construit sur trois « lignes de forces » comparables au dispositif que l’on retrouve le plus souvent dans le football à onze. Le seul inconvénient de cette organisation étant le manque de supériorité numérique défensive lorsque l’on met les deux équipes en effet miroir.

La seconde remarque porte sur un étalement de l’équipe plus en longueur avec une colonne vertébrale plus axiale, un jeu plus étriqué, densifié, et des joueurs de couloirs confrontés à des courses physiquement contraignantes. Nous trouvons là ce qui a peut-être engendré la « création », pour le 11 c 11, des joueurs « pistons » que nous retrouvons aujourd’hui avec une version, plus contraignante que le GB-4-4-2 ancestral de nos amis britanniques.

Version plus défensive que le GB-4-3-3 du « football total » repris par bon nombre d’équipes et revu dans le système du GB-3-4-3 (retour au WM d’école mais avec un milieu étalé sur la largeur) qui répondait judicieusement à la présence de seulement deux attaquants adverses.

Bien des aménagements verront le jour dans la structuration du 8 x 8 et les articulations qui peuvent être mises en place suivant les caractéristiques des adversaires. Car rappelons qu’un des premiers préceptes à suivre en défense est de s’adapter à l’adversaire (Deleplace, 1979), idée qui a du mal à faire son chemin. La matrice offensive permettant, suivant la stratégie choisie, de porter le jeu plus ou moins rapidement vers la cible à atteindre.

Le fait de préciser la zone prioritaire d’évolution du joueur permet à chacun de se positionner par rapport à ses partenaires et de s’inscrire dans un rôle plus spécifique. Nous n’utiliserons pas le terme de « jeu au poste » car il représente une spécialisation trop restrictive quand on a connu le « football total » et la possibilité pour chacun de s’exprimer librement dans ses déplacements. Cette polyvalence enrichissante qui permet d’aborder les permutations, les dédoublements et les compensations nécessaires pour conserver une occupation rationnelle de l’espace et un équilibre de l’édifice.

Nous pensons que le passage à l’activité socioculturelle de référence est encore un peu tôt en U14-U15, au regard de la différence qui existe encore au niveau des potentiels physiques hormis quelques cas hors du commun. Les leviers constitués par les membres inférieurs autorisent les frappes plus fortes et les masses musculaires ne sont pas encore équilibrées ce qui se traduit par un jeu imprécis. Les déchets constatés dans le jeu, provoqués par une volonté renforcée d’aller rapidement vers l’avant au moyen d’un jeu long inorganisé, nous semblent nécessiter un temps supplémentaire de maturation.

Il est encore important d’accompagner ces transformations morphologiques et leurs conséquences d’ajustements organisationnels en abordant des stratégies différentes comme les défenses mixtes ou les attaques rapides. De leur donner la possibilité de défendre grâce à un pressing haut ou organisé autour d’un joueur adverse, ou d’une zone du terrain, prédéterminée.

D’utiliser la loi du hors-jeu dans certaines configurations spécifiques afin de jouer sur la surprise (ex. coup-franc) ou sur la volonté systématique de certains adversaires de prendre la profondeur. Sans oublier de disposer d’un gardien formé pour être capable d’assurer la couverture profonde, de réagir sur sa ligne dans la protection du but et d’être le premier relanceur à la main ou au pied.

– Pour le match en 11 c 11Il nous semble plus pertinent d’aborder le match en 11 c 11 au niveau des U16-U17. À partir de bases organisationnelles bien établies, l’accès à cette complexification de l’organisation est facilité et la maturation physique permet de s’approcher de la pratique des seniors assez rapidement pour les meilleurs, et de se confronter aux joueurs expérimentés à partir des U18.

Nous avons pu constater que le passage du jeu des adolescents à celui des seniors n’est pas si évident et qu’il nécessite de disposer de capacités physiques hors-normes ou d’une propension à l’anticipation développée pour compenser les manques encore apparents. La maturation est encore longue et l’expérience déterminante pour construire un joueur au sommet de son art entre 26 et 30 ans.

Ayant construit un patrimoine tactique élargi et conscient des diverses articulations nécessaires pour organiser un jeu collectif cohérent, les aménagements stratégiques deviennent plus faciles à mettre en place. Un potentiel physique parvenant à maturité et entretenu par la préparation physique qui peut être spécifique et/ou travaillée lors de situations jouées (Duprat, 2016), chacun peut pleinement s’exprimer à partir de ses qualités personnelles.

La formation reposant sur une activité contextualisée, les émotions sont mieux maitrisées durant la rencontre et ont une influence moindre sur les productions gestuelles. Il reste les pressions subies dans le contexte environnemental à découvrir peu à peu en lien avec le niveau d’exigences atteint et la nécessité de performance.

La sélection des jeunes se faisant rapidement dans les structures fédérales mises en place, certains ont déjà fait l’expérience de ces contextes exigeants et pesants, voire usants, sur le plan psychologique. Les joueuses et les joueurs se trouvent alors capables d’évoluer dans un contexte contraignant au niveau professionnel ou moins exigeant en fonction du niveau de pratique compétitive mais toujours enrichi par une qualité de jeu source de plaisir.

La complexification tactique due à la mise en place du troisième rideau, s’établit à partir de bases solides qui permet de découvrir différents types d’organisations, basées sur des systèmes formels GB-4-3-3, GB-4-4-2, GB-3-4-3, GB-3-5-2, GB-5-4-1, GB-4-5-1 ; certains font même apparaitre un quatrième rideau en GB-4-3-2-1, GB-4-2-3-1, GB-3-4-2-1.

Celui-ci nous semble peu pertinent et démontre plutôt une volonté de repli où l’attaquant esseulé a la lourde responsabilité de faire la différence. Ces structures initialement figées ne restent que des bases qu’il est nécessaire d’articuler par l’intermédiaire d’un « référentiel commun » (Deleplace, 1966).

Celui-ci précise les « matrices offensive et défensive » qui vont servir d’orientations à prendre dans le jeu, toujours dépendantes du rapport d’opposition découlant des forces spécifiques des deux équipes. Le rapport de forces issu des lois du jeu tend vers l’égalité et se trouve influencé par les qualités organisationnelles d’une équipe par rapport à l’autre, mais aussi par les qualités exceptionnelles de certains-es individualités capables d’apporter un petit plus.

5. Conclusion

Dans les sports collectifs, le match constitue toujours une issue très attendue lors une séance d’EPS ou d’entrainement. Il est l’aboutissement d’un investissement qui demande à se terminer par un moment récréatif.

Il est l’unique objectif de la pratique libre ou ce celle des vétérans qui ont couru pendant des années et attendent maintenant le ballon dans les pieds. Mais il constitue néanmoins un moment clef de la mise en situation et en place de ce qui a été abordé en amont. Il est l’outil de vérité qui permet de constater si les objectifs d’évolution ou de préparation sont atteints.

Le « match à thème » favorise le retour aux exercices vus précédemment et il est toujours basé sur une égalité numérique. Le « jeu d’application » peut constituer une étape intermédiaire entre l’exercice d’apprentissage et le match.

Les oppositions en attaque/défense sur un demi-terrain peuvent répondre plus facilement à des thèmes spécifiques, il est alors possible d’intégrer un joueur ou deux supplémentaires pour créer un déséquilibre ou tout simplement un « pourvoyeur » qui alimente le jeu lors des sorties de balle pour favoriser la continuité du jeu.

Dans ces diverses situations, les « confrontations » doivent se rapprocher le plus possible de la réalité à laquelle les joueuses et les joueurs vont être confrontées-és dans la pratique compétitive. Le match restera toujours et dans tous les cas un moyen de s’exprimer au sein d’un collectif et d’atteindre un but commun, celui de vivre des émotions et de prendre un certain plaisir à JOUER, pour tout enfant qui sommeille en nous.

Organiser la pratique est une chose, structurer les pratiques jouées en vue de possibles apprentissages en est une autre. Au fil du temps, une forme de scolarisation des entraînements est apparue et a irrigué tout le monde du football : échauffement, partie technique, exercices, jeu, puis match. Mais pour l’heure, dans le domaine du football, la technique a toujours été au centre de la formation et des jugements sur les joueurs.

Or la technique se construit à partir des processus mentaux qui donnent un sens à cette gestuelle. Chercher à intégrer les conditions d’incertitudes réelles de la pratique apparait comme un incontournable pour favoriser des apprentissages adaptés aux situations rencontrées et aux futurs prévisibles de développements du jeu.

Les auteurs remercient Olivier Alberola et Alilou Issa pour leur relecture d’une première version de cet article.

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