Docteure en psychologie du sport et analyste de dynamique de groupe pour le groupe professionnel féminin ainsi que l’académie de l’Olympique Lyonnais durant plusieurs saisons, Manon Eluère nous propose un éclairage sur son rôle, ses recherches et leur influence sur la performance collective.
Chaque dimanche vous recevrez des idées sur l’analyse du jeu, l’entrainement ou encore l’apprentissage.
Qu’est-ce que le football représente pour vous ?
À la base, le football fait partie de l’éventail de sports par lesquels je suis passionnée. Cependant, même si j’ai pratiqué une dizaine de sports différents en club, j’ai toujours joué au football de mon côté, dans mon jardin avec mon petit frère ou dans la cour de récré avec mes amis. J’ai mis un certain temps à le pratiquer en club.
Petite, je m’étais entrainée une fois avec des garçons, cela s’était très bien passé, mais je pense que je n’avais pas le caractère pour continuer dans cet environnement uniquement masculin. Avec le recul, je pense qu’il y a un lien avec tous les clichés et stéréotypes qu’il y avait autour du football.
J’ai finalement commencé à pratiquer lorsque je suis partie faire une année de recherche en Australie. En rentrant en France, j’ai poursuivi sur ma lancée. J’avais pratiqué le volley juste avant et j’ai aimé les différences, notamment en termes de culture sportive, de codes, de normes.
Ma thèse a un peu suivi la même trajectoire. Au début, je me suis intéressée à tous les sports collectifs pour ensuite recentrer mes recherches sur le football. Aujourd’hui, c’est aussi une fierté de travailler dans le football féminin, avec cette idée qu’au-delà de la performance, il y a un enjeu fort autour du développement de cette pratique. Inspirer les jeunes générations et peut-être éviter que d’autres petites filles se disent : le football, ce n’est pas pour moi.
Avec le recul, que vous évoquent votre sujet de thèse et les nombreuses années que vous lui avez consacrés ?
Un bel alignement des planètes qui m’a permis de tomber sur probablement l’un des seuls sujets au monde qui m’aurait motivée et passionnée pendant toutes ces années de recherche.
Classiquement, les étudiants répondent à des appels à projets de thèse et se voient proposer des sujets sur lesquels ils doivent s’aligner. Dans mon cas, cela a été l’inverse, car j’ai eu de la chance de passer par le département Sciences du sport et éducation physique de l’École normale supérieure de Rennes. C’est une école qui éduque à et par la recherche, afin que chaque étudiant puisse construire son propre projet avec une certaine liberté.
En ce sens, j’ai été encouragée à mobiliser toutes les ressources dont j’estimais avoir besoin pour mes recherches, à contacter des personnes à l’étranger, etc. J’ai aussi effectué des stages de recherche à l’international, ce qui m’a permis de me construire un certain bagage.
J’ai vraiment eu la chance de pouvoir créer mon projet de A à Z et trouver des personnes qui ont accepté de se lancer dans cette aventure-là avec moi, en me laissant la liberté dont j’avais besoin.
Ma thèse portait sur la diversité culturelle dans le sport de haut niveau. C’est un sujet qui réunissait tous mes intérêts. Depuis que j’ai commencé la recherche, je me suis intéressée au sport de haut niveau, car c’est un contexte qui a toujours piqué ma curiosité. Le mode de vie des sportifs de haut niveau, leurs sacrifices, leurs personnalités qui me semblent tellement particulières, m’intriguaient depuis longtemps.
En parallèle, l’aspect dynamique de groupe m’intéressait aussi beaucoup. D’ailleurs, avant ma thèse doctorale, la toute première étude de recherche que j’avais réalisée portait sur les superstitions des sportifs de haut niveau. C’était une étude de cas, et j’étais notamment intéressée par de potentiels effets de conformisme au sein du groupe. Par exemple, si le capitaine a une superstition ou un rituel particulier, est-ce que cela amènera ses partenaires à adopter le même comportement ?
J’avais ajouté la notion culturelle à ma réflexion, car je voulais observer s’il y avait des rituels qui étaient propres aux cultures nationales. Cette étude n’est pas parfaite et s’inscrit plus ou moins dans le domaine de la psychosociologie, néanmoins, je la trouve assez riche et innovante en ce qui concerne la méthodologie employée et les questions soulevées. Finalement on peut y retrouver tous les questionnements que j’avais à cette période.
J’ai enchaîné les années d’études, les stages de recherche, j’ai renoncé à la préparation au concours de l’agrégation et j’ai été la seule de ma promotion à partir à l’étranger faire un prédoctorat. C’est à ce moment-là qu’il y a eu un alignement des planètes, en quelque sorte. Initialement, je devais rejoindre l’université Stanford (Californie), mais au dernier moment, je me suis aperçu que je ne pouvais pas, car ils me demandaient de payer 4 000 $ mensuellement afin de pouvoir travailler pour eux, ce qui était financièrement impossible pour moi.
À la même période, je m’étais rendue à un congrès de la Société Française de Psychologie du Sport, afin de présenter une étude que j’avais réalisée en M1. C’est à cet événement que j’ai rencontré Jean-Philippe Heuzé qui est professeur des universités à l’université Grenoble Alpes. Il m’avait fait des retours très encourageants et m’avait prodigué de précieux conseils. Nous étions par la suite restés en contact et je lui avais dit que ne pouvant pas aller à Stanford, je me questionnais sur la suite de mes études et que j’étais intéressée par tout ce qui avait trait à la dynamique de groupe.
Il m’avait alors recommandé de regarder du côté du Canada, car il était en contact avec un certain nombre de personnes qui ont énormément contribué à ce champ de recherche. C’étaient un peu les héritiers d’Albert Carron, le pionnier de la psychologie des groupes, la psychologie du sport et la dynamique de groupe.
Je suis donc partie au Canada, où je me suis épanoui à travailler sur de nombreux sujets liés à la dynamique de groupe aux côtés de Mark Eys, Mickaël Godfrey et Luc Martin notamment. C’est à cette période que j’ai découvert que la diversité culturelle était un champ de recherche à part entière. Je m’intéressais depuis longtemps à ce qui touche aux groupes, aux nationalités et aux cultures, mais en me plongeant dans la littérature sur la diversité culturelle, j’ai découvert tout un champ de recherche qui est très riche dans le domaine du management et des organisations, mais beaucoup moins en contexte sportif.
En contexte sportif, la recherche s’est plutôt intéressée à l’expérience individuelle du joueur expatrié ou encore au processus d’acculturation. Ayant trouvé un champ de recherche sur lequel je souhaitais travailler, j’ai construit mon projet en lien avec des équipes professionnelles, parce que c’est ce contexte et cette population-là qui m’intéressaient. Je me suis lancée dans ma thèse sous la direction de Jean-Philippe Heuzé (Université Grenoble Alpes) et Luc Martin, qui était au Canada (Queen’s University).
Entre le prédoctorat et le doctorat, j’ai donc passé cinq années à travailler sur la diversité culturelle dans les équipes sportives de haut niveau. C’est quelque chose que je referai tous les jours, même si mentalement, cela a été dur d’aller au bout de la thèse, comme à peu près tous les doctorants. J’étais très intéressée par les aspects pratiques et les implications terrain, donc une fois que j’avais mené toutes mes études, que j’avais mes conclusions et mes implications pratiques en tête, j’ai eu beaucoup de mal à trouver la motivation d’écrire toute une thèse qui n’allait pas forcément être lue par grand monde.
Cette thématique de la diversité culturelle pourrait d’ailleurs être étudiée durant toute une vie, sans en voir le bout. En effet, les termes « diversité » et « culturelle » peuvent englober beaucoup de choses. Par exemple, lorsque je travaille avec les équipes de jeunes de l’académie à l’OL, la diversité est essentiellement liée à l’âge (ex. les 2008 contre les 2009). Lorsque je travaille avec les pros, nous retrouvons de la diversité nationale, de la diversité de langues, etc. En fonction du groupe avec lequel je travaille, le type de diversité change.
Ayant passé une partie de mon enfance à Tahiti, l’aspect culturel m’a rapidement questionné. Par exemple, je me demandais : pourquoi certains métropolitains s’intégraient plus facilement que d’autres ? Quelles stratégies avais-je moi-même mises en place pour me fondre dans la masse, au point que l’on me prenne pour une « demi » ? À l’inverse, lorsque je suis rentrée en France, pourquoi ce qui était parfaitement normal à Tahiti ne l’était plus en métropole (tutoyer les professeurs, etc.) ? Faire cette thèse a aussi été un moyen de poursuivre ces réflexions.
Un autre élément qui m’a permis d’apprécier ma thèse et tenir, c’est que je l’ai construite au fur et à mesure. Je n’avais pas de plan d’action clairement défini, comme c’est le cas pour des thèses en biomécanique ou en physiologie par exemple, qui sont bien plus balisées. Globalement, je savais que je voulais partir de quelque chose de très qualitatif, pour déblayer le terrain avec de vraies personnes (coachs, etc.) et qu’ensuite, j’irais plus loin avec des questionnaires, des analyses statistiques et des protocoles longitudinaux. En avançant dans ma réflexion, je me suis dirigée vers des choses très concrètes et pratiques, je me suis rapprochée du terrain.
Lors de ma dernière étude, qui était menée avec l’UEFA et la Fédération française de football, j’ai passé une saison à récolter des données par questionnaires dans des clubs de D1 et D2 féminine en France, ce qui faisait 24 équipes au total. C’était très intéressant parce que j’étais en contact avec des acteurs du terrain et sans m’en rendre compte, j’étais en train de préparer l’après-thèse, en restant dans quelque chose d’extrêmement concret et pratique.
Cela m’a beaucoup aidé parce qu’assez rapidement, j’ai su que je n’allais pas rester dans le domaine universitaire, que cela n’allait pas me correspondre. Si je n’avais pas eu les perspectives de construire mon après-thèse, ma carrière, dans quelque chose de beaucoup plus concret, j’aurais peut-être eu du mal à tenir en ayant comme perspective d’être maître de conférences, par exemple. Même si j’ai adoré enseigner devant des étudiants, ce qui me plait c’est de savoir à quoi vont servir ces travaux sur le terrain.
Dans Organizational Culture and Leadership, Edgar Schein écrivait : La culture est une abstraction. C’est à la fois un phénomène dynamique qui nous accompagne en permanence, qui est constamment ordonné et crée par notre interaction avec les autres, qui est modelé par le comportement des leaders et un ensemble de structures, routines, règles et normes qui guident et contraignent le comportement. Qu’est-ce que cet extrait vous évoque ?
La culture est effectivement une abstraction, c’est quelque chose d’impalpable, de multidimensionnel. Elle renvoie à la fois à des caractéristiques de surface comme la couleur de peau, et à des caractéristiques plus profondes comme les valeurs ou les habitudes.
C’est la raison pour laquelle dans mon travail de thèse, j’ai surtout passé beaucoup de temps à préciser le type de diversité qui m’a spécifiquement intéressée. La diversité culturelle pouvant renvoyer à beaucoup de choses différentes, j’ai fait le choix d’axer mes recherches sur la diversité linguistique et la diversité nationale. Je n’ai pas fermé les yeux sur les autres types de diversité, mais ce sont les failles principales qui s’activent et qui existent dans les équipes professionnelles.
Lors de ma soutenance de thèse, c’est une question portant sur la culture qui m’avait le plus interpellée. Après 2h de questions / réponses, la présidente du jury, Anne Barthel-Radic, m’avait finalement demandé ce qu’était pour moi la culture, étant donné que la diversité culturelle était centrale dans mes travaux. Cette question aussi simple que complexe est venue interroger la praticité de mes recherches.
« La culture est effectivement une abstraction, c’est quelque chose d’impalpable, de multidimensionnel »
En effet, ma thèse portait sur la diversité culturelle et en arrivant à l’OL, mon objectif était plutôt d’être concentré sur la gestion de cet aspect, c’est-à-dire l’intégration des joueuses étrangères, le management de la diversité, etc. Au bout de quelques mois, en discutant avec Sonia Bompastor, mais aussi à travers nos observations, les échanges avec les joueuses et en voyant les besoins de ce groupe-là, nous nous sommes rendu compte que la mission ne pouvait se restreindre à cet aspect et que nous étions obligées de travailler à la prise en charge, au développement et au maintien d’une dynamique de groupe plus globale.
La citation d’Edgar Schein aborde la question du leadership, de la structure ou encore des normes. Ce sont des éléments qui vont avoir un impact sur la culture global. Par ailleurs, dans le monde du sport, plus que de savoir exactement quelle est la culture d’une personne, de quelle culture elle vient ou même de quantifier un niveau de diversité culturelle, ce qui compte le plus de manière très concrète, en prenant en compte la pression temporelle et d’autres contraintes pour travailler avec une équipe professionnelle et la rendre performante, c’est de travailler sur la culture d’équipe.
Cela ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux sur le fait qu’il y a des différences interindividuelles et des cultures différentes. C’est d’ailleurs le piège dans lequel nous avons tendance à tomber, notamment en France. Lorsque nous parlons de diversité culturelle et de culture, nous nous voulons inclusifs et nous avons tendance à dire que nous sommes tous similaires et que nous sommes tous égaux, donc que tout le monde doit être traité de la même manière.
La réalité, c’est que nous sommes tous différents et que l’enjeu est de déterminer comment prendre en compte ces différences-là, pour essayer de regrouper tout le monde autour d’une culture d’équipe qui doit être claire, sur laquelle tout le monde doit s’accorder et dans laquelle tout le monde doit vivre, en respectant cette culture d’équipe et en acceptant les différences des uns et des autres.
En football, ce qui compte, c’est la culture d’équipe, c’est déterminer qui sont les leaders, quels sont ceux qui vont faire le lien entre les sous-groupes culturels, par exemple. Les premiers obstacles, les résistances que nous observons par rapport à la diversité culturelle sont liées à l’appréhension d’avoir des sous-groupes liés à la diversité, que ce soient des sous-groupes nationaux, de langue ou plutôt raciaux et ethniques, comme cela arrive beaucoup dans des équipes nationales, alors que finalement ce n’est pas grave.
« Nous sommes tous différents, l’enjeu est de déterminer comment prendre en compte ces différences-là, pour essayer de regrouper tout le monde autour d’une culture d’équipe qui doit être claire »
C’est quelque chose de normal et humain. Nous avons tendance à nous regrouper et à bien nous entendre avec des individus qui ont les mêmes trajectoires que nous, la même culture, la même éducation, les mêmes choses à la maison, etc. Peu importe les types de sous-groupes, que ce soient des sous-groupes par rapport au type de musique que les uns et les autres écoutent ou des sous-groupes par rapport à la nationalité, ce qui m’intéresse, ce n’est pas de les casser, mais plutôt de les identifier et de mieux les faire fonctionner ensemble au moment où nous en avons besoin, notamment à travers le travail avec les leaders.
Par ailleurs, et c’est là que cela devient un peu plus complexe, peut-être que la manière de travailler avec ces leaders et d’entretenir la dynamique de groupe doit être adaptée en fonction de la culture. En ce sens, les travaux de Katrien Fransen et sa doctorante Radhika Butalia semblent montrer que le modèle du leadership partagé n’est peut-être pas aussi efficace dans toutes les cultures. Peut-être que dans certaines cultures, il est nécessaire qu’il n’y ait qu’une seule personne qui dirige tout, ce qui amène d’autres différences.
La diversité culturelle est une thématique qui aurait pu m’emmener dans de nombreuses directions. J’aurais très bien pu, après ma première étude qualitative, partir spécifiquement sur des études sur les stéréotypes et ce que cela implique. Je suis resté à un niveau un peu plus global, parce que je souhaitais identifier de vrais leviers d’action, de vraies implications à donner aux entraineurs.
Si j’avais fait des études sur les stéréotypes, j’en aurais certainement trouvé, et cela aurait sûrement eu du sens dans le cadre de travaux auprès des fédérations, dans des départements diversité et intégration ou encore dans de grandes campagnes de sensibilisation, mais moins sur la performance collective.
Il y a un grand modèle théorique dans cette littérature sur la diversité culturelle, qui est celui des dimensions culturelles avec notamment les travaux de Geert Hofstede. Cela date un peu maintenant et il y a certainement eu des évolutions depuis, comme le projet GLOBE par exemple, mais pendant de nombreuses années, il a étudié les comportements, les perceptions, les préférences associées à différentes cultures nationales. À travers un site internet qu’il a créé, il est possible de comparer les fonctionnements de différentes cultures nationales, sur différentes dimensions.
« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de casser les sous-groupes, mais plutôt de les identifier et de mieux les faire fonctionner ensemble au moment où nous en avons besoin, notamment à travers le travail avec les leaders »
Par exemple, il est possible de déterminer le degré d’importance du rapport au pouvoir, le rapport à l’incertitude, à quel point la société analysée possède une culture dans laquelle la hiérarchie est importante, etc. En France, par exemple, c’est un aspect important. Cela se voit dans le domaine universitaire et peut-être aussi dans le type de management. Il y a un manager leader et c’est très important que chacun connaisse sa place. Lorsque j’ai étudié en Australie, j’avais trouvé que les discussions étaient beaucoup plus horizontales. Peu importait que je sois une étudiante de L3, de doctorat ou master. Bien entendu, ce ne sont que des tendances.
Je ne me suis pas basée sur ce modèle théorique là, mais cela aurait peut-être été un moyen de m’intéresser encore plus profondément aux différences culturelles. J’ai choisi de ne pas l’utiliser, car je trouvais que cela enfermait trop les gens dans des cases et que je m’interrogeais sur les possibilités d’actions dans une équipe. Tout comme la littérature sur la personnalité, qui est souvent remise en question, car une fois que l’on a identifié des profils, que peut en faire le manager ?
Lorsqu’on gère une équipe de 30 personnes au football ou de 50 personnes au rugby, on ne peut pas individualiser de manière aussi poussée. C’est pour cette raison que j’ai préféré conceptualiser la diversité culturelle de manière globale dans une équipe et voir quel était l’impact, afin d’avoir par la suite de vrais leviers d’action au niveau collectif, sur la dynamique de groupe.
Justement, l’individualisation semble au cœur des préoccupations liées à l’optimisation de la performance. Néanmoins, étant donné la composante interpersonnelle des sports collectifs, il semble que l’optimisation de certains facteurs d’influence de cette performance, comme la dimension mentale, devraient dans un premier temps être approchés collectivement.
J’imagine que dans tous les sports c’est à peu près pareil, mais notamment dans le football, on parle souvent des quatre piliers de la performance : technique, tactique, physique, mental. Sur l’aspect tactique, la dimension collective est incontournable, mais sur les aspects techniques et physiques, on est beaucoup sur l’individualisation du travail et de la charge. Cependant, sur l’aspect mental, le lien n’est pas aussi direct par exemple.
Pour une joueuse c’est effectivement une richesse incroyable d’avoir accès à un préparateur mental ou un psychologue du sport et/ou les deux, si elle a envie de travailler individuellement. En revanche, si ce travail individuel est imposé au groupe par le manager, alors que toutes les joueuses ne sont pas encore prêtes, cela peut clairement créer des résistances.
Une autre manière de faire peut-être de ne rien imposer. Petit à petit, certaines joueuses vont demander de « l’aide » si elles en ressentent le besoin, notamment en matière de santé mentale ou vont vouloir développer certaines habiletés mentales associées à la gestion des émotions ou la concentration, à l’image de ce qu’elles feraient pour développer leur vitesse ou leur explosivité, par exemple.
Encore une fois, ce travail peut-être très intéressant, mais il faut garder en tête qu’en termes d’implication pratique et de performance, ce sur quoi l’entraineur a le plus d’impact ou de contrôle, c’est plutôt sur son management et ce qui se passe globalement au niveau de son équipe. C’est paradoxal, parce que de prime abord, cela semble plus compliqué de travailler avec l’ensemble des joueuses plutôt qu’elles le fassent individuellement.
Par exemple, si nous travaillons sur le développement de stratégies collectives de coping, afin de favoriser le changement d’état lorsque durant dix minutes nous n’arrivons pas à avoir une possession du ballon stable, ce n’est pas parce que l’une des joueuses arrive à mieux se concentrer sur la tâche, qu’elle va réussir à influencer ses partenaires.
« Il faut garder en tête qu’en termes d’implication pratique et de performance, ce sur quoi l’entraineur a le plus d’impact ou de contrôle, c’est plutôt sur son management et ce qui se passe globalement au niveau de son équipe »
Globalement, les filles et les garçons évoluant dans les équipes professionnelles sont prêts tactiquement, techniquement, physiquement. Bien entendu il est indispensable de gérer les charges, de gérer la fatigue, etc., afin d’arriver en condition optimale sur le terrain. Néanmoins, lorsqu’on est au niveau optimal sur tous ces aspects-là, qu’est-ce qui fait que la « magie » opère ? Je pense que cela se situe au niveau de l’équipe, au niveau du groupe.
Prenons l’exemple d’un match pour lequel les joueurs semblaient prêts sur chacune des dimensions de la performance, mais que dans le jeu, c’est insuffisant qu’il ne se soit rien passé collectivement et que le coach trouve cela inacceptable, à quel niveau se situe la contre-performance ? Est-ce parce qu’ils ne comprennent pas le modèle de jeu ? Je ne suis pas sûre. Ce sont des joueurs professionnels, au bout d’un moment, ils devraient théoriquement l’avoir tous intégré. Je pense donc que les éléments à analyser se situent plutôt au niveau de la coordination, de la communication, de la capacité à faire face aux difficultés pendant un match et de leur capacité à passer d’un état à un autre, collectivement.
Bien entendu, cette perspective se discute et tout le monde ne sera pas totalement d’accord avec elle. Nous pourrions aussi adopter une autre perspective et soutenir qu’un groupe étant composé d’individus, si chacun d’entre eux progresse, il se passera quelque chose au niveau du groupe. Néanmoins, je trouve qu’en termes de pression temporelle et de praticité, ce sur quoi l’entraineur aura le plus de contrôle se situe quand même plutôt au niveau de la dynamique de groupe, en tous les cas sur la dimension collective du mental.
« Si je devais approcher la situation au niveau individuel, je me focaliserais sur les leaders »
Par exemple, les clubs ont encore tendance à faire appel à des préparateurs mentaux quand il y a déjà le feu. L’équipe est dans une mauvaise posture, la frustration grandie, le constat est que les joueurs ne sont pas prêts mentalement, alors ils font appel à des préparateurs mentaux. Le problème, c’est qu’à ce moment-là, ce n’est pas en travaillant au niveau individuel qu’ils vont instantanément retourner la situation. La réflexion et le travail se situent plutôt au niveau du développement de ressources favorisant la résilience, le changement d’état, en tant qu’équipe.
Toutefois, si je devais approcher la situation au niveau individuel, je me focaliserais sur les leaders. Lorsqu’on mesure le leadership à l’aide d’une méthode comme l’analyse des réseaux sociaux, sur laquelle l’approche développée par Katrien Fransen est basée et que nous utilisons aussi au club, on ne mesure pas une qualité de leadership. Nous n’identifions pas les meilleurs leaders de l‘équipe, ceux qui sont les plus forts mentalement ou les plus capables de renverser l‘équipe, parce qu’ils communiquent bien par exemple. Nous identifions ceux qui ont le plus d‘influence, et bien sûr il y a souvent des corrélations entre ces éléments.
À partir de ces données sur le leadership, nous devons définir comment accompagner ces leaders, afin qu’ils exercent une influence réelle et qu’ils favorisent le changement d‘état de tout un groupe, pas seulement individuellement, en arrivant à mieux se concentrer par exemple. À l‘image d‘une séance de tir au but, même si une joueuse réussit à être dans un état optimal pour tirer, elle sera malgré tout dépendante de ce que feront ses partenaires pour remporter le match. Dans les sports collectifs, les destins des membres du groupe sont liés les uns aux autres, c’est quelque chose qu’on ne peut pas ignorer.
Comment définiriez-vous votre rôle au sein du staff du groupe professionnel féminin de l’OL ?
Depuis mon arrivée au club, mon rôle a beaucoup évolué. J’ai commencé en tant que stagiaire chargée d’interculturalité. Avec le recul, c’est assez extraordinaire que le club ait trouvé cet aspect assez important, pour l’intégrer à la composition d’un staff. Sonia Bompastor trouvait le sujet intéressant et important, lorsqu’elle a repris l’équipe 1re. Elle avait eu accès à des données qui provenaient de ma thèse et elle a été sensible à ces questions étant donné son expérience de joueuse et son propre bagage culturel.
J’ai donc intégré la structure afin de plutôt travailler sur des aspects liés à la diversité culturelle et l’intégration des joueuses étrangères. Très rapidement, mon rôle a évolué et s’est plutôt orienté vers la dynamique de groupe et la cohésion. Dans l’esprit de beaucoup, l’aspect cohésion supplantait l’aspect dynamique de groupe, parce que c’était plus simple d’y mettre du sens. Pour eux, j’étais donc la chargée de cohésion.
Pourtant, lorsqu’on s’intéresse aux théories sur la dynamique de groupe, même si la cohésion est une variable clé, ce n’en est qu’une parmi d’autres. Néanmoins, c’est celle à laquelle nous faisons toujours référence à travers les stages de cohésion, les discours autour de la cohésion, etc. J’aimais d’ailleurs beaucoup partir de cette variable-là parce que cela me permettait de faire réfléchir les joueurs ou joueuses, notamment auprès des équipes de l’académie. Je me présentais en tant que chargée de cohésion pour l’équipe pro féminine et je leur disais que ce titre ne voulait rien dire. Puis je leur demandai : à votre avis, pourquoi ?
L’idée, c’était de les amener à percevoir que personne ne peut être chargé de la cohésion. Je ne peux pas arriver dans une équipe et créer de la cohésion. Je n’aurais jamais ce pouvoir-là. La cohésion part de chacun des membres constituant une équipe et de leurs perceptions. C’est ce qui me permettait d’amener l’idée de mesurer leurs perceptions, parce que ce qui me semble intéressant, ce n’est pas vraiment la réalité ou ce que j’observe, c’est plutôt comment eux, perçoivent le fonctionnement de leur équipe, leur niveau de cohésion, le leadership, etc.
« Lorsqu’on s’intéresse aux théories sur la dynamique de groupe, même si la cohésion est une variable clé, ce n’en est qu’une parmi d’autres »
À la suite de cette première phase, mon contrat au club s’est pérennisé et c’est là que l’intitulé de mon poste s’est transformé en chargée de recherche en diversité, inclusion et cohésion. À travers cet intitulé, nous gardions un peu cette idée de base de la diversité qui est mon expertise, mais en même temps, cela faisait déjà longtemps que je travaillais sur la dynamique de groupe de manière plus globale et il y avait l’aspect recherche parce qu’il y avait cette notion d’analyse de données.
Avec l’arrivée de notre directeur de la performance, Jack Sharkey, nous avons encore réfléchi à l’évolution de cet intitulé afin qu’il soit plus en cohérence avec ce que je fais aujourd’hui. Le plus adapté nous semble être : analyste de dynamique de groupe et si je devais le préciser, je dirais analyste et facilitatrice de dynamique de groupe. C’est ce qui décrit le mieux mon rôle aujourd’hui.
Les clubs ont des données sur un certain nombre de dimensions maintenant, ce qui leur permet d’être plus précis, plus rigoureux et d’élever leur niveau de performance parce qu’ils peuvent mieux contrôler certaines choses et mieux agir. Néanmoins, ils n’ont pas de données sur un aspect qui est central dans le football aujourd’hui, le management de la dynamique de groupe. Le rôle du manager, presque au-delà des aspects techniques du métier, il prend son sens dans cette gestion du groupe.
Mon idée a donc été de collecter, analyser et rendre exploitable des données sur le fonctionnement d’équipe afin de permettre une meilleure gestion. L’entraineur est bien entendu le premier expert de son groupe, il le connait très bien, il a sûrement une bonne idée de son fonctionnement, de l’ambiance, de qui sont les leaders, etc. Néanmoins, avec des données précises, cela permet d’avoir des leviers d’actions supplémentaires, pour peut-être aller un peu plus loin dans le management, pour réussir à raccrocher telle ou telle personne au projet, car l’entraineur ne peut tout simplement pas tout voir.
Je suis partie des données pour expliquer ma démarche, mais bien entendu, que ce que je fais, c’est de la psychologie du sport. Cependant, je ne dirais pas que c’est de la préparation mentale, même si cela pourrait être le cas tellement les caractéristiques associées au poste de préparateur mental sont encore floues.
La majorité de mes missions sont plutôt au service du staff, de l’entraineur et du directeur de la performance. La collecte de données, mes analyses et les recommandations que je formule sont une aide à la décision, une aide pour qu’eux puissent gérer le groupe. Je trouve qu’il est fondamental de rapidement prendre conscience, notamment en tant que préparateur mental ou avec mon type de poste, que les managers, les coachs, les joueurs ou les joueuses, auront toujours plus d’influence sur la dynamique de groupe, que n’importe quelle intervention que nous ferions ou n’importe quel atelier que nous mettrions en place.
Je considère que ma valeur ajoutée se situe dans la diffusion de l’éducation, de la prise de conscience, pour que ceux qui exercent une véritable influence sur le groupe s’en servent et mettent des choses en place. C’est un peu comme cela que fonctionnent les États-Unis par exemple. C’est un sujet que j’avais abordé avec Kristen Dieffenbach, qui est la toute première personne avec qui j’ai fait de la recherche. Aux États-Unis, ils ont un autre type de littérature scientifique qui est associé à ce qu’ils appellent coaching education.
La première fois que je suis allée là-bas, je me suis aperçu que ma directrice de stage ne faisait pas partie du département psychologie du sport, mais du département coaching education, ce qui m’avait interpellée. Pour eux, comme en Australie d’ailleurs, c’est un champ à part. La littérature qui y est consacrée est totalement orientée vers l’entraineur, son éducation, son accompagnement, sa formation et le développement d’outils leur permettant de mettre eux-mêmes des choses en place.
Mon poste à l’OL s’inscrit clairement dans cette approche, car je suis au service du coach et plus largement des managers comme le directeur de la performance. C’est quelque chose que les préparateurs mentaux peuvent aussi faire. Néanmoins, pour un préparateur mental pouvant intervenir sur la dimension individuelle et collective, il sera important de trouver le bon équilibre en termes de confidentialité, étant donné que l’on peut être au service des joueuses et/ou au service du staff.
« Il est fondamental de rapidement prendre conscience, notamment en tant que préparateur mental ou avec mon type de poste, que les managers, les coachs, les joueurs ou les joueuses, auront toujours plus d’influence sur la dynamique de groupe, que n’importe quelle intervention que nous ferions ou n’importe quel atelier que nous mettrions en place »
Concernant l’évolution du rôle sur le plus long terme, après ma première année à l’OL, j’avais constaté que quelqu’un qui est en charge des aspects cohésion et des activités labélisées comme telles, même si les objectifs peuvent être différents, ne peut pas rester trop longtemps dans le même club.
Cela ne peut pas être toujours la même personne, parce qu’un des facteurs de la cohésion c’est la nouveauté et l’éveil de la curiosité. Donc, même si mon discours passe auprès des joueuses, je ne vais plus les surprendre et c’est difficile de se renouveler spécifiquement sur cet aspect-là, notamment en termes d’activité, pendant des années.
Par ailleurs, par rapport à mes perspectives personnelles, je pense qu’à court ou moyen terme, je me mettrai plutôt à mon compte en tant que consultante sur de l’analyse de dynamique de groupe, avec cette idée que les données peuvent servir au coach, au directeur de la performance, mais aussi aux préparateurs mentaux et psychologues du sport en poste, parce qu’ils sauront quoi en faire. D’autre part, lorsqu’une personne « interne » à l’organisation est trop identifiée « cohésion », le risque est que les autres membres de l’organisation soient un peu moins moteurs de la cohésion.
Par exemple, le coach ou n’importe quel autre membre du staff va peut-être moins proposer d’activités au sein du staff. Les joueurs ou joueuses vont peut-être moins être moteurs dans l’organisation d’un repas entre eux / elles ou la proposition d’activités un peu fun à faire ensemble. Au bout d’un moment, peut-être que le groupe dans son ensemble va se reposer sur le fait que chaque moment partagé, chaque souvenir créé, doit être instigué par la personne qui a la charge de cela, alors que je ne suis pas certaine que cela soit la bonne approche.
Mais en même temps, le fait d’avoir quelqu’un dont c’est l’une des missions, ce n’est pas mal aussi parce que ce n’est pas au manager de se mettre dans une posture d’animation de la cohésion à travers certaines activités. Il y a donc un équilibre à trouver. Le fait de faire partie d’un staff me permet de connaitre le contexte sur le bout des doigts parce que je suis là au quotidien. J’entends les discussions, j’identifie les besoins, donc je peux mieux’ conseiller aussi au fur et à mesure et dans l’interprétation des données, parfois, je peux aller un peu plus loin.
Je sais pourquoi les données peuvent suggérer telle ou telle chose. Mais en même temps, lorsqu’on vient de l’extérieur, ce que j’ai pas mal fait avec l’académie, qu’on ne connait pas du tout l’équipe et que l’on présente les données brutes au coach, en lui disant comment son équipe fonctionne, selon les données et une série de recommandations, cela enrichie fortement les échanges. Certains éléments vont confirmer des choses qu’ils ont observées et mettre la lumière sur des choses auxquelles ils n’auraient jamais pensé. L’objectif, c’est qu’ils puissent ensuite concilier leurs représentations avec ce que disent les données, afin qu’ils mettent des choses en place.
Au regard du modèle théorique que vous avez choisi pour étudier la diversité culturelle, comment définiriez cette dernière ?
La diversité renvoie à la notion de différences objectives et subjectives entre les membres d’un groupe. Lorsqu’on parle de diversité, c’est forcément en référence à un groupe. C’est justement pour cette raison qu’il faut aller plus loin que la définition de la diversité. Dans mes travaux, je me suis basée sur le modèle d’Harrison et Klein, à travers lequel ils expliquent bien qu’il faut conceptualiser la diversité, aller beaucoup plus loin qu’affirmer qu’il y a de la diversité et essayer d’étudier ses effets.
La diversité en tant que telle ne veut rien dire, car elle peut tout autant être conceptualisée comme de la variété, de la séparation ou de la disparité. Imaginons que nous ayons la charge d’un groupe de 20 personnes. Conceptualiser la diversité comme de la variété, c’est déterminer dans quelle proportion chaque nationalité est représentée au sein du groupe. C’est très différent d’avoir la charge d’un groupe composé de 18 Français et 2 Espagnols, que d’un groupe composé de 5 français, 5 Sénégalais, 6 Espagnols et 4 Américains. C’est l’idée de variété nationale.
Le calcul de l’index de Blau, qui varie entre 0 et 1, va permettre de mesurer cette variété. Lorsqu’on est à 1, la variété est maximum, cela veut dire que toutes les joueuses ont une nationalité différente et au contraire lorsqu’on est à 0, la variété est minimum, cela veut dire que toutes les joueuses ont la même nationalité. Cette notion de variété nationale était le type de diversité qui m’intéressait, mais cela marche aussi pour d’autres types de variété : l’âge, la racio-ethnicité, etc.
Petit à petit, grâce aussi à mon étude qualitative, je me suis aussi rendu compte que ce qui avait peut-être le plus d’impact, c’était la langue plutôt que la culture nationale en soi et les langues parlées. Je me suis donc penchée sur les conceptualisations et ce qui m’intéressait finalement, ce n’était pas de connaitre la proportion de personnes qui parlaient français ou la variété, mais plutôt de déterminer qui était dans une situation d’inégalité par rapport à la maîtrise d’une ressource qui serait la langue.
Avoir un haut niveau de variété nationale, c’est-à-dire un grand nombre de personnes qui viennent d’un grand nombre de cultures nationales différentes, ne va pas avoir beaucoup d’effet et surtout, ne va jamais exercer une influence directe sur la dynamique de groupe. Cela n’exercera une influence qu’à travers les perceptions de cette diversité. Ce qui compte, c’est comment les individus sont capables de gérer cet aspect, de composer avec et d’être plus ou moins ouverts, etc. C’est ce qui nous amène à l’importance de la compétence interculturelle.
« La diversité en tant que telle ne veut rien dire, car elle peut tout autant être conceptualisée comme de la variété, de la séparation ou de la disparité »
Ce que nous avons observé à travers la thèse, c’est que le type de diversité qui a le plus d’influence sur un groupe, c’est plutôt l’aspect linguistique et nous l’avons conceptualisé comme de la disparité linguistique. Par exemple, dans une équipe où il y a beaucoup de joueuses expatriées et où la moitié du groupe est en difficulté avec la langue locale, par exemple le français, que l’autre moitié du groupe parle anglais et que tout le monde se débrouille un peu, le niveau de disparité ne sera pas important, parce que tout le monde est confronté aux mêmes difficultés.
Le niveau de disparité peut être considéré comme important lorsqu’on a 28 joueuses qui parlent français et anglais, par exemple, qui sont capables de vraiment se débrouiller, qui maîtrisent ces ressources-là, mais qu’une ou deux joueuses ne peuvent s’exprimer dans aucune des deux langues. Donc ce qui est important, ce n’est finalement pas de définir la diversité, mais de déterminer comment nous allons la conceptualiser. Au quotidien sur le terrain, même si je ne la conceptualise pas, j’ai tous ces éléments en tête, ce qui me permet de mettre des alertes ou non, en fonction du type de groupe avec lequel je travaille.
Aujourd’hui, je suis dans la même équipe depuis plusieurs saisons, mais si je travaillais avec plusieurs équipes différentes, peut-être qu’avec certaines il faudrait être encore plus vigilant. Il y aurait probablement moins de variété nationale que dans un club comme l’OL, mais ce serait peut-être encore plus compliqué, parce qu’ils auraient par exemple deux énormes sous-groupes composés de Brésiliens et de français ou au contraire 28 joueuses françaises et une seule joueuse expatriée. Dans ces cas de figure, il y a plus de risques que dans un groupe comme le nôtre qui est très diversifié.
La compétence interculturelle semble jouer un rôle important dans l’approche de la diversité. Quelle est son influence ?
La compétence interculturelle, c’est une compétence qui est encore un peu floue et à mon sens, elle nécessite encore pas mal de travail de conceptualisation. Néanmoins, cela renvoie à la capacité à comprendre, à voir, à reconnaître les différences culturelles et à essayer de s’adapter à celles-ci.
Je me suis intéressé à cette compétence-là parce qu’à travers l’étude qualitative que j’avais réalisée, je me suis rendu compte que cela allait exercer une influence et que c’était déterminant dans les relations interpersonnelles et le fonctionnement de groupe. C’est une compétence qui peut s’entraîner comme n’importe quelle compétence, notamment en soumettant des joueurs, des joueuses ou des staffs à des situations de diversité culturelle pour essayer de voir ce qu’ils feraient dans une situation donnée. Il existe une littérature sur les jeux sérieux qui se développe, notamment dans le domaine du management.
Par exemple, vous êtes en entreprise et l’un de vos collaborateurs veut prier, mais cela met mal à l’aise l’un de vos collaborateurs, qui pense que ce n’est pas normal sur le lieu de travail. Comment gérez-vous cette situation ? Même si l’idée, c’est d’être au clair avec la politique de son club, il faut se dire qu’il n’y a peut-être pas à chaque fois de réponses fixes. Surtout, pour que cela fonctionne, il faut être capable de reconnaître que tout le monde a un fonctionnement un peu différent.
Maintenant, si j’effectuais le même travail statistique en me positionnant cette fois sur d’autres compétences, comme l’intelligence sociale ou sur des tests de personnalité, même si je n’en suis pas une adepte, peut-être que nous verrions que les personnes les plus ouvertes font que l’équipe fonctionne mieux. La compétence interculturelle, je m’en éloigne un petit peu de manière formelle au quotidien parce qu’à entraîner, c’est quand même fastidieux et ce ne serait pas trop concret.
Néanmoins, à terme, j’aimerais développer un jeu sérieux orienté vers les leaders, afin de déterminer comment ils peuvent faciliter des aspects comme l’inclusion, etc. Mais de manière informelle, nous travaillons un peu sur cette compétence-là et d’une manière générale, quand un coach fixe une culture d’équipe, des valeurs, des normes, si tout le monde respecte ce cadre-là, normalement, cela peut faciliter la vie de la diversité.
Finalement, il semble que l’important ne soit pas de définir si la diversité est bénéfique ou néfaste, mais plutôt de réussir à s’adapter en fonction du contexte. A l’image d’un jeu de cartes, il faut s’adapter aux cartes que l’on a en main et essayer d’en tirer le meilleur.
Exactement. La conclusion de la thèse, c’est que finalement peu importe qui vous avez dans votre équipe et quel est le niveau objectif de diversité. Ce qui va compter, c’est comment les individus composent avec. Cette idée de cartes que l’on a en début de partie est intéressante, car si nous regardons le modèle de fonctionnement d’une équipe sportive, nous avons d’un côté la composition de notre équipe et de l’autre côté, nous avons des résultats, c’est-à-dire la performance individuelle et collective. Entre les deux, il y a tous les aspects relatifs à la dynamique de groupe. En fait, ce qui se passe dans un groupe exercera une influence déterminante sur sa performance finale, indépendamment de son niveau.
Souvent lorsque je présente mon travail dans des contextes sportifs, il y a toujours des scouts et des recruteurs qui viennent me voir parce que ce sont des sujets qui les intéressent. Pour eux, ce serait presque magique d’avoir des données de ce type parce que, même s’ils le font déjà de manière un peu informelle, cela leur donnerait des leviers supplémentaires. Mais l’idée aussi, dans les conclusions de ma thèse, c’était de ne surtout pas dériver vers des recommandations du type : faites attention à ne pas recruter trop d’expatriés ou faites attention à ne pas recruter trop de joueuses d’une nationalité en particulier, par exemple.
« Peu importe qui vous avez dans votre équipe et quel est le niveau objectif de diversité. Ce qui va compter, c’est comment les individus composent avec »
Chez les coachs que j’avais interviewés, cela m’était arrivé d’entendre des discours comme : « les Américaines, je n’en recruterai plus jamais. C’est compliqué, ça me plombe mon groupe ». Mais est-ce que le problème ce sont les Américaines en tant que telles, ou c’est parce qu’il y en avait quatre d’un coup et qu’elles ont eu beaucoup de mal à s’adapter à une petite ville d’un pays qu’elles découvraient et que le reste des joueuses n’étaient pas prêtes à les accueillir ?
En revanche, dans le recrutement, ce qui est fondamental lorsque nous avons nos cartes en face de nous, c’est de savoir interpréter notre jeu et de nous dire par exemple : cette année, nous avons quatre personnes d’une même nationalité, quatre personnes d’une autre nationalité et quatre personnes d’une troisième nationalité, il existe un risque d’avoir des sous-groupes, voire des cliques. Quelque chose de très prononcé. Donc, dès le début de la saison, il va falloir énormément travailler pour réussir à faire coopérer, communiquer et fonctionner ces groupes-là, grâce aux leaders et ce qui va être construit au niveau du système dans son ensemble.
La cohésion étant un processus dynamique, le défi pour un groupe semble se situer dans le maintien de celle-ci, afin qu’elle ne se dégrade pas trop rapidement.
Il est fondamental de manager tous les aspects de la dynamique de groupe, tout au long de la saison. D’ailleurs, l’idée principale ne se situe même pas dans le développement, mais plutôt dans le maintien, avec tout ce qu’il peut se passer durant une saison sportive : les blessures, la fatigue, les déplacements, l’insatisfaction parce qu’on joue plus ou moins, la concurrence ou des aspects personnels, etc.
Comme Mickaël Campo l’évoquait dans son entretien, il faut bien réfléchir aux raisons d’effectuer un stage de cohésion. Par exemple à la mi-saison, à l’OL, nous avons la chance de pouvoir en faire un, ce qui est vraiment une force parce que ce sont des moments clés où nous avons tout le groupe en même temps et où nous pouvons retravailler ces notions d’objectifs, de culture d’équipe et puis des aspects de la dynamique de groupe sur lesquelles nous voulons nous focaliser. Cependant, sans objectif précis, c’est juste un moment de plus qui apporte de la fatigue, ce qui peut être contre-productif et favoriser des perceptions plus négatives du fonctionnement d’équipe et de la dynamique de groupe.
Globalement, les données au niveau de la dynamique de groupe ont plutôt toujours tendance à diminuer au cours d’une saison. En ce sens, la nouveauté étant aussi un élément favorisant la cohésion, lorsqu’un coach est remplacé, le nouvel arrivant arrive avec un énorme avantage au niveau de sa dynamique de groupe. Il arrive après quelque chose qui ne s’est pas forcément très bien passé. Donc, malgré lui, il aura un peu la posture de celui qui va faire du bien à la dynamique de groupe, ne serait-ce que parce que c’est quelqu’un d’autre. Pour peu qu’il ait en plus un nom reconnu et un palmarès, cela exercera une influence importante sur la perception de ses compétences.
Par ailleurs, les relations de confiance sont aussi une variable clé de la dynamique de groupe. Pour construire une relation de confiance, on peut jouer sur différents aspects. Bien entendu, il y a des gens qui ont une plus grande propension à faire confiance facilement ou non, mais il y a aussi des choses sur lesquelles on peut agir. Consciemment, on peut se dire que si on veut créer une relation de confiance, on peut agir sur trois éléments : la démonstration de sa compétence, la démonstration de sa bienveillance et la démonstration de son intégrité.
Ces trois éléments fonctionnent un peu comme un système de vases contenant des billes. Si vous appréciez quelqu’un, que tous les échanges que vous avez eus avec cette personne étaient satisfaisants, mais qu’un jour, vous apprenez qu’elle est médisante ou qu’elle a fait quelque chose qui n’est pas en lien avec vos valeurs, vous allez lui retirer des billes sur l’aspect bienveillance, par exemple. Vous lui enlevez des billes sur l’aspect intégrité parce qu’entre ce qu’elle affiche et ce qu’elle est, il y a un petit décalage. Mais peut-être que deux semaines plus tard, vous allez régler le quiproquo ou elle va montrer la personne qu’elle est vraiment, vous allez en apprendre plus sur elle et vous allez remettre des billes dans le vase. C’est la même chose pour la compétence.
Donc lorsqu’un nouvel entraineur arrive, pour certains joueurs, peut-être qu’il a un vase rempli de billes de compétences. Peut-être que pour d’autres ce n’est pas le cas, donc il va partir de plus bas et puis en fonction de comment cela évolue, ils vont lui rajouter des billes ou au contraire en retirer. Donc la nouveauté est clairement un facteur d’influence sur la cohésion.
« La nouveauté étant aussi un élément favorisant la cohésion, lorsqu’un coach est remplacé, le nouvel arrivant arrive avec un énorme avantage au niveau de sa dynamique de groupe »
Pour finir sur ces variables qui ont tendance à diminuer au cours de la saison, dans le rapport UEFA que nous avons publié, même si nous ne l’avons pas encore trop détaillé dans des publications scientifiques, nous avons observé des choses très intéressantes, notamment que le niveau de satisfaction des joueuses des 24 équipes analysées avait tendance à diminuer tout au long de la saison. Par ailleurs, nous avons observé une vraie différence dès le début de saison et accentué en fin de saison, entre la satisfaction des joueuses françaises et des joueuses expatriées. Les joueuses expatriées, dans cette étude-là, sont significativement moins satisfaites que les joueuses françaises et en plus, cela diminue beaucoup plus.
Ce n’étaient pas des modèles statistiques très poussés et il faudrait aller plus loin, néanmoins, nous avions aussi regardé l’évolution de la compétence interculturelle et sûrement qu’il y a des biais dans la manière de mesurer, mais ce qui était très intéressant, c’est qu’en début de saison, il y avait une différence significative. Les joueuses expatriées sont significativement plus compétentes interculturellement que les joueuses françaises. Cela peut s’expliquer parce que toutes celles qui ont répondu au questionnaire sont des filles qui ont quitté leur pays pour venir jouer en France.
Elles sont donc peut-être effectivement plus compétentes, mais en plus, elles ont sûrement cette perception d’avoir fait des efforts. Ce qui est notable, c’est qu’au fur et à mesure de la saison, la compétence interculturelle des joueuses expatriées chute significativement, alors qu’en soi, elles n’ont certainement pas perdu de compétence, entre le début et la fin de la saison. Ce sont des éléments autorapportés et ce que cela traduit, c’est qu’il y a peut-être une forme de lassitude.
Elles pensaient être compétente interculturellement, elles ont eu l’impression d’essayer de faire les efforts pour s’intégrer, mais elles ont l’impression que cela ne fonctionne pas trop, donc finalement, elles se perçoivent comme étant moins compétentes. Alors cela ne s’appuie que sur une étude, dans le championnat français, mais effectivement, toutes ces variables avaient diminué.
Vous aviez introduit votre thèse par ces mots extraient du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry : « les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? ». Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Et combien gagne son père ? » Alors seulement elles croient le connaître. » (…) « Toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants. Mais peu d’entre elles s’en souviennent ». Pourquoi ce choix ?
Le Petit Prince est un livre que j’aime beaucoup. Durant ma thèse, je me suis toujours dit que je ne voulais pas tomber dans de la recherche expérimentale, même si c’est quelque chose de très important et que l’on en a besoin. C’est là que les modèles de base sont créés, nous essayons ensuite de les mettre en pratique. Néanmoins, je ne voulais pas me perdre dans un quelque chose qui me semblait trop déconnecté du terrain. J’aurais été malheureuse parce que je n’aurais pas eu l’impression d’aider, car cela ne faisait pas assez sens pour moi.
Lorsqu’on fait une thèse, on est soumis à un certain nombre de règles (publication, hiérarchie, etc.), néanmoins, dans le chapitre 1 de ma thèse, j’ai tenu à y ajouter des éléments concernant ma posture de recherche. J’avais dit à mes directeurs de thèse que c’était très important pour moi de faire cette réflexion afin d’analyser mes propres biais par rapport à un sujet comme celui de la diversité culturelle, présenter la position à partir de laquelle je parlais et dire que mes travaux n’étaient pas la vérité absolue.
Au début, ils n’étaient pas trop pour. Ils m’avaient dit que dans tous les cas, la recherche devait être éthiquement juste et positionnée, ce qui est totalement vrai. Je comprenais leur point vu, mais j’ai vraiment insisté pour intégrer cette partie-là parce que cela faisait sens. C’est d’ailleurs une démarche qui a été bien reçue durant la soutenance.
C’était très important pour moi de faire cette réflexion afin d’analyser mes propres biais par rapport à un sujet comme celui de la diversité culturelle, présenter la position à partir de laquelle je parlais et dire que mes travaux n’étaient pas la vérité absolue.
J’ai mis cette citation, parce que mon idée durant la thèse était de toujours être connecté à la réalité, aux personnes, aux enjeux du terrain et aux besoins des gens que j’allais rencontrer. Par ailleurs, c’est un exercice qui était parfois un peu trop sérieux. Si j’avais pu, j’aurais écrit ma thèse plutôt sous forme d’histoire et avec des mots plus « terrain », des mots d’action. Mes articles auraient fait trois pages, mais auraient été très clairs, ludiques et concrets.
La question du sens a été centrale durant toute ma thèse. Dans le monde du football, je cherche aussi à donner du sens à ce que je fais, même si parfois cela peut paraitre futile de travailler sur du football et de la performance, alors qu’il y a un peu plus grave dans le monde. Le sens, je le trouve dans le fait de travailler sur de la performance s’appuyant sur un bon fonctionnement d’équipe, un fonctionnement sain et sur du bien-être. L’aspect football féminin y contribue aussi. Je ne dis pas que je ne travaillerai jamais dans le football masculin, mais c’est vrai que cela me comble de travailler dans le football féminin, parce que je me dis que je participe un peu à mon échelle à l’évolution de cette pratique-là.
A la lumière de vos travaux de recherche sur la dynamique de groupe et à travers votre expérience dans le football de haut niveau, qu’avez-vous appris sur la nature humaine ?
Ce que j’observe et qui est en lien avec la dynamique du groupe, c’est que malgré tout, même si j’ai beau mettre l’accent sur le groupe, même si je suis convaincue que ce qui fait gagner une équipe, c’est le groupe, même si je pense que globalement tout le monde est convaincu que c’est le groupe qui va permettre de gagner, la nature humaine fait que chacun va chercher à répondre à ses propres besoins qui sont plus ou moins nobles, avant ceux du groupe. Chacun vient satisfaire des besoins plutôt individuels.
Ce n’est pas une vision forcément très positive et même si je vais continuer à mettre l’accent sur cette notion de groupe, c’est aussi ma manière de rester connectée et de garder à l’esprit que dans ce type d’environnement tout n’est pas parfait et le groupe n’est pas nécessairement toujours une priorité. Chaque individu, athlètes et staff compris, a ses enjeux personnels. Cela reste un monde dans lequel il y a des enjeux politiques, économiques et de pouvoir, qui sont importants.
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